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paya bientôt de sa vie son généreux dévouement à la cause de l’indépendance grecque, et les habitans de Missolonghi montrent encore avec orgueil la modeste demeure où l’illustre étranger rendit le dernier soupir[1]. Et pourquoi n’a-t-on pas laissé la dépouille mortelle du poète devenu soldat reposer près du héros dont il avait voulu se faire le compagnon d’armés, sous ce beau ciel qu’il aimait avec enthousiasme et qui lui avait inspiré quelques-unes de ses plus belles pages ? Ces nobles restes appartenaient à la Grèce ; Botzaris et Byron ne devaient pas être séparés. Ces deux grandes tombes, se prêtant l’une à l’autre un romantique prestige, seraient restées aux yeux de la postérité comme un austère et poétique emblème de cette affinité mystérieuse qui entraîna le génie vers l’héroïsme.

L’année suivante, en 1824, Missolonghi succomba après une résistance désespérée, sous le coup d’une nouvelle invasion plus formidable que les premières. À peu près en même temps, le fameux Méhémet-Ali devenait l’allié du sultan, et les flottes combinées d’Alexandrie et du Bosphore s’avançaient avec l’intention de convertir le Péloponèse en un vaste désert et de transplanter ses habitans sur les bords du Nil. C’en était fait peut-être de la nation grecque, si les insulaires de l’Archipel n’avaient résolu de venger les massacres de Constantinople et de Chio. Au moment où l’Europe entière avait les yeux fixés sur ce petit coin du monde, un peuple de marins sobres, intrépides, aventureux, aussi inébranlables dans le combat que dans la tempête, se leva, et mit de toutes parts en déroute, avec de frêles embarcations, les grandes flottes ottomanes. Ces victoires donnèrent aux puissances européennes le temps d’arriver pour clore cette lutte sanglante, en reconnaissant et en appuyant ouvertement les droits d’une nationalité ressuscitée par tant d’héroïsme. Tout l’intérêt des guerres de l’indépendance se trouve à cette époque transporté sur un nouveau théâtre également fécond en dramatiques péripéties, et nous verrons le peuple des îles accomplir à son tour de merveilleux prodiges sous la conduite d’un homme qui, par son extrême audace et sa rare habileté, personnifie admirablement le génie maritime de la Grèce.


E. YEMEKIZ, consul de Grèce.

  1. Les restes de Byron furent, on le sait, transportés en Angleterre.