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d’accent, finesse de mélancolie, elle fait songer à la musique si cruellement plaintive qui s’échappe de cet instrument singulier qu’on nomme l’harmonica. Nous rappelons le caractère de cette touchante histoire, parce que la faculté particulière qui s’y révèle, la faculté d’attendrir, avait entouré pour nous de certaines obscurités la personne et la condition réelle de l’auteur. George Elliott était-il un homme, était-il une femme ? Tant de tact, de patience, d’affectueuse lenteur, semblaient indiquer une femme : l’homme a généralement la main plus lourde, la sensibilité plus bruyante, la fibre sympathique plus dure, l’observation à la fois plus large et moins sereine. Il y avait bien çà et là quelques touches plus vigoureuses, mais nous aimions à les attribuer à certaines qualités qui distinguent souvent les femmes sérieuses et pieuses, guéries par la religion et retirées, par la pratique de la charité, des vanités de leur sexe. Dans toutes ces observations, il n’y avait rien que l’habitude d’une vie de charité et de dévouement, que la contemplation quotidienne de la souffrance humaine, ne pussent avoir enseigné à une femme. Nous nous étions plu en conséquence à imaginer que l’auteur des Scènes de la Vie cléricale pourrait bien être quelque pieuse dame, d’habitudes religieuses, touchant au méridien de la vie, ou même l’ayant légèrement dépassé ; cultivée sans grandes prétentions littéraires, noblement élevée sans aucune prétention mondaine, directrice peut-être ou surveillante de quelque ragged school, et recherchant volontiers la société des personnes qui partageaient ses préoccupations habituelles. Comme beaucoup de femmes pieuses, pensais-je, elle aura vécu dans la familiarité des ministres de l’église, et c’est ainsi qu’elle aura pu observer de près les souffrances intimes et les misères du ménage Amos Barton. À moins pourtant que l’auteur ne soit un clergyman qui raconte les infortunes d’un confrère ! Mais non, jamais un homme, quelque compatissant qu’il soit, n’aura un tel souci des minutieux détails domestiques, ne prendra un tel intérêt aux souliers troués des enfans, et ne saura nous arracher des larmes en nous parlant de chemises raccommodées, de linge éraillé, de robes fanées et déteintes.

Si l’auteur n’eût produit que des œuvres de courte dimension comme les Scènes de la Vie cléricale, notre première opinion n’eût probablement pas été modifiée, car, dans ces esquisses de début, l’écrivain, mettant en lumière quelque coin caché’ de la société, ou faisant appel à nos sympathies les plus secrètes pour quelque souffrance subtile et ignorée, n’avait révélé que la partie tout à fait délicate et féminine de son talent. Pour traiter de tels sujets, un écrivain demande instinctivement l’appui, le secours et les conseils de celles de ses facultés qui ont le plus d’affinité avec les facultés