Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/941

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de France, la population commença d’ensemble cette œuvre de destruction. Ils escaladèrent, le feu et la bêche à la main, jusqu’aux nids des aigles, cultivèrent l’abîme, pendus à une corde. Les arbres furent sacrifiés aux moindres usages : on abattait deux pins pour faire une paire de sabots. En même temps le petit bétail, se multipliant sans nombre, s’établit dans la forêt, blessant les arbres, les arbrisseaux, les jeunes pousses, dévorant l’espérance. La chèvre surtout, la bête de celui qui ne possède rien, bête aventureuse qui vit sur le commun, fut l’instrument de cette dévastation démagogique, la terreur du désert… » Quoique moins désastreuses pour les propriétés boisées que les premiers temps de la révolution, les années 1830, 1848, 1851, sont également pour elles des dates fatales qui ont marqué leur passage en caractères qui n’ont pas encore disparu.

Plusieurs causes, à nos yeux, contribuent à développer cette tendance à la dévastation des forêts, qui se manifeste dans toutes les crises révolutionnaires. La première, c’est que lorsque les forêts couvraient la plus grande partie du territoire, elles étaient un obstacle au développement de l’agriculture, et le défrichement était considéré comme un bien. Les seigneurs, qui pendant la féodalité n’y avaient cherché que le plaisir de la chasse, loin d’en restreindre l’étendue, s’étaient efforcés, au moyen du droit de garenne, de l’accroître aux dépens des terres de leurs vassaux. Ce droit, qui interdisait à ceux-ci la faculté de défendre leurs propriétés contre les ravages incessans du gibier, resta en vigueur jusque vers 1270, et fit tomber entre les mains des seigneurs les terres, devenues incultes, que leurs détenteurs avaient été contraints d’abandonner. Pour le paysan, les forêts étaient donc une véritable calamité, une cause de maux de toute nature, et le souvenir des souffrances passées n’a peut-être pas été étranger au sentiment qui le faisait agir quand il déboisait le sol. A. voir son acharnement, on eût dit que la forêt était le dernier lien qui le rattachait au régime d’autrefois, et qu’en la faisant disparaître, il consacrait son affranchissement d’une manière irrévocable.

Un second motif qui pousse au défrichement, c’est le désir égoïste de jouir sans peine ni mesure des richesses transmises par les générations passées. Un sol qui a été longtemps boisé a accumulé une grande quantité de détritus végétaux qui permet d’en tirer sans fumure une récolte abondante pendant plusieurs années. Le produit ne tarde pas cependant à devenir tout à fait nul, si l’on ne prend le soin d’entretenir cette fertilité par de nouveaux engrais. Aussi est-ce un bien pauvre calcul que de défricher un terrain quand on manque des capitaux nécessaires pour le faire valoir. Cette opération, toujours