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et sous leur protection ce qu’il y a à prendre, pendant que les prétendans (à la succession d’Espagne) s’agiteront pour la terre ferme du vieux monde. C’est de ce régal qu’il faut entretenir les alliés de la famille. » Ainsi livrer les Indes aux Anglais et aux Hollandais en récompense de leur utile animosité contre la France et « les entretenir de ce régal, » voilà la seconde maxime d’état qui concourt avec la première, et qui n’en est que le moyen.

Cette convoitise de l’Autriche sur l’Italie n’était un secret ni pour la France ni pour l’Italie. Louis XIV disait en 1697, dans les instructions qu’il donnait au marquis d’Harcourt, ambassadeur de France en Espagne, que « si le roi d’Espagne donnait à l’archiduc Charles le gouvernement perpétuel du Milanais,... il faut que le marquis d’Harcourt demande en ce cas une audience du roi catholique; qu’il déclare à ce prince que l’intention de sa majesté ayant toujours été de maintenir inviolablement la paix dont l’Europe jouit présentement, elle ne peut voir sans une peine extrême que le roi d’Espagne contribue à la troubler en donnant à l’empereur les moyens infaillibles de se rendre maître de l’Italie; que les desseins que ce prince en a depuis longtemps ont éclaté pendant la dernière guerre; que sa majesté, ayant sacrifié ses propres avantages pour les prévenir, veut aussi conserver le repos qu’elle a procuré aux princes d’Italie; que, comme elle en est garante, elle ne pourra s’empêcher de leur donner les secours qu’ils lui demanderont, lorsqu’ils seront attaqués dans leurs droits et dans leur liberté; que la cession du Milanais à l’archiduc ou la nomination de ce prince au gouvernement de cet état ne peut se regarder que comme un premier pas pour attaquer le reste de l’Italie, et que, s’il s’exécute, sa majesté n’a point de temps à perdre à préparer les forces nécessaires à la secourir[1].» Louis XIV connaissait le testament politique du duc de Lorraine. Un de ses espions à Vienne lui en avait transmis une copie; mais, quand même il ne l’aurait pas connu, il était facile de voir que c’était du côté de l’Italie, faible et divisée, que l’Autriche devait chercher à s’agrandir, plutôt que du côté de l’Orient, où le Turc, quoique déjà battu, conservait encore un renom de force et de puissance. D’ailleurs les états ne sont puissans que par les conquêtes qu’ils font sur terre civilisée; celles qu’ils font sur terre barbare ajoutent peu à leur puissance. Je me souviens d’avoir lu, il y a plus de vingt ans, un mémoire de M. Pozzo di Borgo, où l’habile diplomate montrait que la Russie ne pouvait pas renoncer à la Pologne, parce que c’était par la Pologne qu’elle touchait à l’Occident et qu’elle avait prise sur l’Europe. On parlait beaucoup alors de l’avenir qui était réservé à la Russie dans l’Asie orientale:

  1. Histoire générale des Traités de paix, par le comte de Garden, t. II, p. 206.