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gent le privilège d’établir une banque démocratique destinée à faire concurrence aux banques fédéralistes, reprochait vertueusement en 1805 à son ancienne alliée d’avoir, dans une affaire analogue, exploité trop exclusivement à son profit la vénalité de certains sénateurs. A Philadelphie, le gouverneur, Me Kean, l’un des chefs les plus fougueux du parti républicain, se trouvait dépassé lui-même par une coterie ultra-radicale qui prétendait supprimer les avocats, enlever l’inamovibilité aux magistrats, réduire à un an la durée du mandat des sénateurs. Pour défendre la constitution de la Pensylvanie et la raison contre les attaques des « amis du peuple, » le gouverneur était réduit à faire étaler dans les feuilles publiques les turpitudes de ses commensaux d’autrefois. L’un avait été espion anglais; tel autre s’était rendu coupable d’escroquerie, tel autre de malversation. Les répliques pleuvaient non moins acrimonieuses, non moins personnelles, et la fureur de ces frères ennemis devenait si aveugle que l’on pouvait craindre la guerre civile.

Au milieu de ces honteuses dissensions, le principal souci de Jefferson était de n’avoir pas à s’en mêler; sa principale consolation était de penser qu’avec un peu de prudence, il pourrait arriver jusqu’au seuil de la retraite sans se brouiller avec aucun de ses anciens adhérens, et rejeter ainsi sur ceux qui viendraient après lui la désagréable tâche d’avoir à choisir entre les diverses fractions du parti. Cet espoir fut promptement déçu. Le président pouvait assez aisément rester étranger aux querelles locales; mais il lui était moins facile d’ignorer les discussions du congrès. Dès la session de 1805, M. John Randolph, qui jouait pour l’administration le rôle de leader au sein de la chambre des représentans, avait, dans un débat fort scandaleux, donné aux membres du cabinet de fort désagréables marques de son mauvais vouloir. La Géorgie ayant abandonné à la confédération le territoire qui forme aujourd’hui les états du Mississipi et de l’Alabama, le gouvernement de l’Union avait eu à examiner la validité des concessions faites dans cette vaste contrée par les divers pouvoirs qui y avaient successivement exercé leur souveraineté. Parmi les concessionnaires se trouvaient quatre compagnies qui, en associant à leurs opérations la majorité des deux chambres géorgiennes, avaient trouvé moyen d’obtenir plus de 20 millions d’acres pour la somme de 500,000 dollars. Le marché était si évidemment frauduleux, le vote qui l’avait consacré était si notoirement entaché de corruption, que la législature géorgienne elle-même, renouvelée par des élections faites sous le coup de ce révoltant trafic, avait cru devoir annuler la concession. Cependant les compagnies avaient eu le temps de faire passer par des ventes soit réelles, soit simulées, une grande portion de