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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/815

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gage d’une certaine liberté d’action à un moment donné. Sans doute le roi avait fait de graves concessions en faisant offrir aux Siciliens des conditions qui devaient répugner à sa fierté, en prenant parti contre l’Autriche, en envoyant ses soldats à la croisade italienne sous la conduite du vieux Pepe ; mais en tout cela il n’était lié que par des nécessités temporaires, et la solution de toutes ces difficultés était plutôt dans la question intérieure elle-même. Or ici encore, à travers la confusion universelle, tout tournait en faveur de la puissance royale.

Lorsque les intérêts étaient sans cesse alarmés par la révolution en permanence, par les manifestations des rues, par les clubs aussi bien que par une presse effrénée, ils s’irritaient contre un régime qui ne se traduisait qu’en désordres, et ils oubliaient presque les violences du pouvoir absolu. Lorsque les partis extrêmes semblaient vouloir ouvrir une ère d’agitations indéfinies, les constitutionnels sincères se ralliaient au prince et soutenaient son autorité. La magistrature, toujours menacée d’une épuration, travaillait de tous ses efforts à une réaction. Lorsque les libéraux, avec autant de légèreté que d’inintelligence, poursuivaient l’armée de leur haine et de leurs déclamations injurieuses, ils ne voyaient pas qu’en cherchant à humilier cette armée, ils l’irritaient contre le régime constitutionnel, ils la rattachaient au roi, et se faisaient un ennemi terrible de l’esprit militaire. Lorsqu’enfin l’opposition voulait arrêter au passage un article du statut en empêchant, la réunion d’une chambre des pairs, elle ne remarquait pas qu’elle donnait le plus périlleux exemple, et que si la constitution pouvait être violée dans un sens, elle pouvait sans nul doute être violée dans un autre sens. Je ne dis pas que le roi ne fût point sincère dans cette expérience où tout le monde était engagé ; seulement c’était, si l’on me passe le terme, un joueur habile et serré qui visiblement n’avait pas dit son dernier mot et qui attendait, flattant ceux dont il pouvait se servir, cédant quand il ne pouvait faire autrement, et maintenant ses avantages là où tous les hommes perdaient leur popularité. Aussi après trois mois il y avait à Naples une sorte de duel latent entre la liberté nouvelle, qui se perdait déjà dans l’anarchie, et le pouvoir absolu, qui sentait renaître ses forces du sein de la confusion. C’était la moralité de cette histoire de trois mois, et elle avait presque en ce moment un intérêt européen.


IV

Qu’on se représente en effet cette situation au mois de mai 18418. On touchait à une crise solennelle. En Europe, après l’étourdissement