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milles environ ; en largeur, les limites en sont fixées au point où, par un jour clair et en se plaçant sur les bords de la rivière, on cesse de distinguer un cheval d’un homme. Ce singulier mode de mesurage, qui donnerait un grand avantage aux vues longues, a été stipulé dans l’acte de concession passé entre les Indiens et les premiers colons. Dès 1811, on essaya sans succès d’installer dans cet emplacement un centre de population blanche. Quelques années après, l’œuvre fut reprise par la compagnie d’Hudson, qui y envoya plusieurs familles recrutées en Écosse et dans les îles Orkney. Les descendans de ces colons forment aujourd’hui une population de trois mille âmes, adonnée à l’agriculture. À côté d’eux vivent six mille métis, race intelligente et dure à la fatigue, mais plus disposée à vivre à l’indienne qu’à imiter les blancs, et sacrifiant très volontiers les travaux de l’agriculture aux périlleuses aventures de la chasse. Ces métis, suivant M. Kane, ont quelques traits du caractère français : ils parlent le patois du Bas-Canada, et ne se mêlent ni avec les Anglais, ni avec les peaux-rouges. Leur grande affaire est la chasse au buffle, qui a lieu à deux époques de l’année, en juin et en octobre, et pour laquelle toute la tribu se donne rendez-vous. On part en plusieurs détachemens pour se retrouver aux points où les troupeaux de buffles ont été signalés. Chaque détachement est suivi d’un grand nombre de chariots destinés à transporter les produits de la chasse, sous la conduite des femmes et des enfans, qui, chargés de dépecer les animaux et de couper les quartiers de viande à sécher, ont un rôle important à remplir dans l’expédition. Quand tous les préparatifs sont terminés, les métis se mettent en route et s’avancent vers l’intérieur, non sans prendre de grandes précautions aux approches du territoire occupé par la puissante tribu des Sioux. Des vedettes éclairent la marche de chaque convoi, soit pour annoncer la présence de l’ennemi, soit pour reconnaître les troupeaux de buffles. Les rencontres entre les métis et les Sioux sont assez fréquentes, et amènent des combats où les premiers ont le plus souvent l’avantage. Les métis ne scalpent point les morts, comme le font la plupart des peuplades indiennes ; mais une tribu voisine, celle des Saulteaux, qui est toujours en guerre avec les Sioux, et qui accompagne les chasses, ne manque point de scalper la tête des ennemis tombés sous le fusil des métis, cérémonie qui s’accomplit au bruit des chants de guerre et des danses sauvages. Complétons cette esquisse des établissemens de la Rivière-Rouge en plaçant auprès du fort Garry le temple protestant et, sur le bord opposé, le clocher de l’église catholique ; encore un souvenir de la domination française, soigneusement conservé par les missionnaires, que nous retrouverons presque à toutes les étapes, multipliant sur