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arme dangereuse contre le succès de l’émancipation italienne. La Romagne, la plus malheureuse, la plus comprimée de toutes les parties de la péninsule, a naturellement suivi l’exemple du reste de l’Italie centrale, en procédant spontanément à une sorte de transformation intérieure, et en demandant son annexion au royaume du nord, comme la Toscane et Modène. Or la Romagne fait partie du domaine temporel du saint-siège, et à ce titre ce qui se passe à Bologne intéresse le monde catholique tout entier. C’est ce qui explique cette émotion de l’épiscopat français, dont les manifestations se succèdent aujourd’hui comme par suite d’un mot d’ordre. Je ne me fais point juge de ces manifestations dirigées avec un si dangereux ensemble contre notre cause. Qu’on me permette cependant de dire un mot. En comprenant l’émotion des évêques français, je demanderai qu’on nous prouve, non par des déclamations d’un beau style biblique, mais par des argumens, que le respect dû à la religion catholique et à son vénérable chef serait nécessairement amoindri par l’introduction dans la Romagne d’un gouvernement régulier et conforme aux nécessités de la civilisation moderne. Voit-on bien où tout cela peut conduire? Le jour où il serait prouvé, — ce qui heureusement n’arrivera pas malgré les fautes de la cour romaine, — que la religion catholique ne saurait vivre à côté d’une bonne administration des finances et d’une assemblée appelée à fixer les dépenses de l’état, au milieu d’une certaine liberté de discussion sur les actes administratifs, avec une certaine intervention des laïques dans les principales fonctions publiques, le jour où, reniant toute son histoire, la papauté comme puissance italienne serait réduite à demander d’une manière permanente son existence à la protection des puissances étrangères, ce jour-là, je le crains, on n’aurait pas obtenu un grand triomphe, on aurait préparé peut-être pour l’église romaine la plus grave et la plus redoutable des crises.

Faut-il donc admettre que les populations de la Romagne ont en elles-mêmes de tels vices de caractère et d’intelligence qu’elles ne puissent vivre en paix sous un gouvernement bon et tolérant? Les faits démontrent bien éloquemment le contraire depuis trois mois. Une révolution s’est accomplie sous l’influence de l’idée de nationalité et de liberté, et aucun désordre n’a eu lieu. On a été réduit à imaginer des excès qui n’ont existé que dans les correspondances des nouvellistes de l’absolutisme. D’ailleurs, sans entrer dans ces détails, le memorandum des grandes puissances en 1831, toute la correspondance de l’un des principaux ministres du gouvernement de juillet avec son illustre et malheureux ambassadeur à Rome, la lettre du président de la république à M. Edgar Ney, les déclarations de M. Le comte Walewski au congrès de Paris, ne sont-ce pas là des preuves irréfutables, reconnues par tous les cabinets, des vices profonds de l’administration politique de la Romagne depuis un grand nombre d’années? Ces vices, le souverain pontife lui-même ne les a-t-il pas reconnus implicitement, tout en se laissant trop vite décourager dans ses premiers desseins d’une politique réparatrice? Pour moi, je me souviens qu’en 1849, envoyé à Gaëte, j’ai été témoin avec une profonde émotion de l’amertume qui débordait de l’âme noble et bienveillante du saint-père, lorsqu’il nous racontait les efforts tentés à l’aide d’hommes tels que Rossi et le général Zucchi pour l’amélioration de son gouvernement, efforts malheureusement trompés et paralysés par les fureurs