Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en cela à nos voisins anglais et même allemands. Hors de son pays, le Français est ingénieur, soldat, aventurier, il n’est guère ni cultivateur ni commerçant ; de plus le détachement complet du sol natal lui est moins facile qu’à tout autre expatrié. Quelle touchante et persévérante affection la Louisiane et le Canada ont conservée pour la métropole ! La France en outre se suffit à elle-même, et n’a jamais forcé ses enfans à jeter des regards de convoitise au-delà des mers, à demander les ressources de leur existence aux régions étrangères. De là est résultée une différence radicale entre l’éducation et les idées premières des peuples anglais et français ; ici on naît agriculteur et soldat, là matelot et commerçant. En Angleterre, les plus grandes villes sont sur les côtes, et un peuple d’hommes bercés par la mer, familiarisés avec les idées d’expatriation, comptent pour la plupart des amis et des parens dans les contrées les plus lointaines ; chaque jour ils lisent dans les feuilles publiques des nouvelles de leurs compatriotes de Chine et d’Australie, et ils sont pour ainsi dire habitués à considérer le monde comme une province de l’Angleterre.

La richesse et l’abondance naturelle de notre sol, l’attachement que nous avons pour lui, les circonstances politiques de la fin du dernier siècle et du commencement de celui-ci, notre gloire militaire continentale, telles sont donc les causes honorables et parfaitement avouables de notre infériorité colonisatrice. Ne nous en plaignons pas : chaque peuple a eu ses destinées, et les nôtres en Europe ne le cèdent à celles de personne. À l’Angleterre le grand mouvement colonisateur, à elle de créer des empires, de défricher le sol, de le couvrir de troupeaux, de bâtir des villes à l’image de Londres et de Liverpool. C’est un rôle plein de grandeur, mais qui a ses déceptions et ses dangers : les colonies sont ingrates, bien oublieuses souvent et bien personnelles ; plus d’une a renié la métropole, et pour vivre, pour rester prospère et puissante, il faut que l’Angleterre recommence toujours. Quelques hommes et quelques livres sortis de France, voilà au contraire ce qui a suffi pour établir la prépondérance et répandre l’influence du génie français par le monde. Bien des fois nous avons entendu regretter que la France n’ait pas devancé l’Angleterre dans l’occupation de la Nouvelle-Zélande : regrets sans motif ; cette colonie, devenue tout d’un coup si riche dans des mains anglaises, fût demeurée stérile dans les nôtres. D’ailleurs, pour le déploiement de ce que nous avons d’aptitudes en ce genre, n’avons-nous pas à nos portes l’Algérie ? Le commerce peut bien se passer de colonies ; les États-Unis n’en ont pas, ce qui ne les empêche point d’être les premiers trafiquans du globe. Ce que nous pouvons raisonnablement demander, c’est un développement commercial en rapport avec le nombre de nos ports et l’étendue