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hardie, active, elle a les appétits de Gargantua enfant ; elle ajoute à ses états des territoires aussi vastes que ceux des plus puissantes monarchies de l’Europe ; elle couvre toutes les mers de ses vaisseaux, et ne permet plus à l’Angleterre elle-même de s’appeler la maîtresse de l’Océan. En face d’un pareil spectacle, on ne peut s’empêcher d’admettre qu’il y a dans le principe de liberté, qui sert de base à la société américaine, une force d’expansion, une puissance irrésistible, une vitalité qui le défend contre ses propres excès : les épidémies morales engendrées par de fausses doctrines ne durent point assez aux États-Unis pour affaiblir la nation, et les blessures de la liberté s’y guérissent d’elles-mêmes. Il en est deux pourtant qui semblent rebelles : l’une est l’esclavage, ulcère honteux qui grandit sans cesse, se développe, gagne d’un côté tout ce qu’on lui enlève de l’autre ; la seconde, on s’étonnera peut-être de la voir nommer avec l’esclavage, mais on verra que ce n’est pas sans raison, la seconde, est le mormonisme.

Il ne faut point parler avec trop de dédain d’une doctrine qui a trouvé moyen de recruter des milliers d’adhérens, et qui, en flattant les passions les plus basses, a chance d’établir son empire sur un grand nombre d’âmes où n’a point pénétré le rayon des vérités morales, et qu’une société démocratique lui livre sans résistance. Je n’ai point à porter ici un jugement motivé sur cette singulière religion, fondée de nos jours, qui a eu ses prophètes, ses martyrs, ses miracles, et qui, au sein d’une république chrétienne, fait revivre la théocratie absolue avec les mœurs qui ont amené les peuples de l’Orient à l’abrutissement où ils s’éteignent. Cette tâche a été remplie ici même par M. Emile Montégut avec la force et l’indépendance de vues qui caractérisent sa critique[1]. Je voudrais seulement profiter de quelques événemens récens pour compléter les connaissances extrêmement imparfaites que l’on possède sur la société des mormons, sur la géographie de la contrée qu’ils habitent, leurs établissemens, leur histoire pendant les dernières années. Une expédition à la fois, on peut le dire, militaire et diplomatique met depuis deux ans les chefs mormons en rapport avec le gouvernement des États-Unis. L’occupation du territoire d’Utah a donné occasion de recueillir sur cette partie presque inconnue de l’Amérique les plus curieux renseignemens. Cette campagne des Américains contre les habitans d’Utah est d’ailleurs intéressante, non pas seulement en ce qui concerne les mormons eux-mêmes, mais aussi au double point de vue de l’organisation militaire des États-Unis et de la politique du gouvernement fédéral dans ses rapports avec les territoires :

  1. Voyez la livraison du 15 février 1856.