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assurer davantage ; mais si l’éclat d’un tel rôle rehausse l’importance de Mme des Ursins, son caractère en demeure singulièrement compromis. Quelque bon vouloir que j’y mette en effet, je ne saurais avec M. Combes rattacher à un système politique la guerre indigne poursuivie par une Française contre deux ambassadeurs de son souverain avec une si cruelle persévérance. Le cardinal d’Estrées voulait en Espagne les mêmes choses que Mme des Ursins ; il y représentait leur maître commun avec un titre plus élevé et une autorité plus légitime. Ses fautes de conduite, qui furent nombreuses, lui avaient été en quelque sorte imposées, et s’il eut le malheur de tomber dans des embûches, une autre avait eu le tort de les dresser. Dans cette période de deux années, la moins honorable de sa vie politique, la princesse n’eut pour stimulant qu’une ambition égoïste et impatiente. En subordonnant à ses intérêts ceux de deux monarchies, en donnant pour excuse à la violence de ses attaques le droit de sa propre supériorité, elle confirma contre ses adversaires par son exemple cette vérité, que pour les esprits ardens le pouvoir est moins périlleux à exercer qu’à poursuivre.

Philippe, rendu par l’éloignement de la reine à son indolence naturelle, n’opposa aucune résistance aux injonctions de son aïeul. Atteinte dans ses plus profondes affections, blessée dans sa dignité de souveraine, et ressentant à quinze ans ce double outrage aussi vivement que dans la maturité de la vie, Marie-Louise se renferma d’abord dans un dédaigneux silence qui révélait l’espoir ou d’une vengeance terrible ou d’une revanche prochaine ; Mme des Ursins se soumit aux ordres de son roi avec l’orgueil superbe dont l’expression se révèle dans l’une de ses plus belles lettres à la maréchale de Noailles. Conscience des grands services rendus par elle aux deux monarchies avec une inviolable fidélité, étonnement amer en voyant sa parente, jusqu’alors si dévouée, « lui préférer des gens qui ne sont que ses alliés, et dont la méchanceté aurait dû lui faire horreur, » flatterie habile à Mme de Maintenon, à laquelle la Providence réserve, comme par un privilège assuré à sa vertu, la sainte mission de faire triompher un jour la justice et la vérité, « Dieu voulant pour cela se servir d’elle malgré elle-même : » tels sont les traits principaux de cette noble défense, où le calcul tempère la passion, et qu’il faut lire en entier dans le volume de M. Geffroy[1].


III

Sortie de Madrid en « criminelle d’état, » Mme des Ursins se dirigea vers l’Italie, lieu désigné pour son exil ; mais, s’éloignant de

  1. Lettre du 23 mai 1704, p. 169.