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la société civile ne l’est pas, et qu’ainsi le pouvoir civil ne peut être muni à l’égard de la première des armes qui lui ont été légitimement données pour protéger la seconde. L’état n’est point orthodoxe, et ce n’est pas comme tel qu’il peut, par ses actes, atteindre les consciences : c’est lorsque des intérêts civils confiés à sa garde se trouvent compromis par l’usage ou l’abus des droits de la religion. Ainsi s’expliquent les deux restrictions que Locke apporte à la tolérance universelle. La première est contre les athées. Ceux qui nient la Divinité, selon lui, ne doivent pas être tolérés, parce qu’ils portent le trouble dans la société en ébranlant la sainteté du serment. J’avoue que s’il n’était facile et dangereux d’abuser de cette première restriction, admise plus tard par Rousseau, je laisserais le soin de la combattre à des logiciens plus pointilleux que moi. L’autre restriction, que lord Macaulay reproche sévèrement à Locke, est, il faut bien le dire, contre les catholiques. Le reproche n’est pas sans fondement, quoique exagéré peut-être par l’honorable sévérité de lord Macaulay. Dans plusieurs passages, Locke reconnaît bien que les dogmes et les rites de notre église doivent être soufferts, et c’est là l’important ; mais il refuse la tolérance à ceux qui enseignent qu’on ne doit pas garder la foi aux hérétiques, qu’un roi excommunié est déchu du trône, à ceux que leur religion soumet à une domination et à une juridiction étrangère, ce qui semble en effet exclure les catholiques de la protection de la loi. Il faut bien avouer que la politique de la cour de Rome et les fautes des jésuites avaient tout fait pour nous attirer de telles exclusions, et certes le mal devait être grand pour qu’elles trouvassent grâce aux yeux d’un homme aussi modéré que Locke ; mais, avec toute sa modération, il était pour le moins aussi politique qu’il était philosophe, et c’est en politique qu’il parle ici. Cependant, comme tel, il aurait dû comprendre que si une religion quelconque, le catholicisme ou toute autre, vient à dicter à ses fidèles des opinions publiques qui troublent l’ordre de la société, ce sont là des délits qui doivent être réprimés, assez analogues par leur nature aux délits de la presse, et que si la loi peut justement les atteindre par la voie de la justice, elle ne doit pas pour cela s’armer contre la religion à laquelle on prétend les attribuer. Le pouvoir, dans ce cas, protège les intérêts civils qu’il juge menacés, sans proscrire une religion qu’il juge erronée. C’est aux catholiques, ou plutôt c’est aux croyans de toute religion, de respecter par tous pays l’ordre, la loi, la société, et dès qu’ils les respectent à l’extérieur, aucun compte ne leur peut être demandé des opinions qu’accepte leur conscience. Ajoutons que le catholicisme gallican, le seul qui convienne pleinement à une nation éclairée, ne laisse à mon sens rien subsister des ombrages que Locke et