sont soigneusement huilées ; on peut les ouvrir sans bruit. Votre cheval est prêt, il faut que vous partiez.
— Partir ? lui dis-je.
— Oui, il faut partir ; croyez-vous être dans une auberge ordinaire ? Bien des gens ont couché dans cette chambre qui ne se sont jamais réveillés. Savez-vous où vous êtes ? Vous êtes à Crève-Cœur, continua-t-elle.
J’avais souvent entendu parler de cette auberge mal famée dans le pays ; je gardai le silence.
— Voulez-vous savoir où vous êtes ? dit-elle. Suivez-moi.
Elle prit la chandelle, l’approcha du lit, et posa son doigt sur la muraille. Je vis à la hauteur de l’oreiller une gerbe de gouttelettes rougeâtres comme le sang a coutume d’en faire quand il jaillit. — C’est du sang humain, dit Pepita.
— Mais pourquoi m’assassinerait-on ? Je n’avais qu’un louis d’or sur moi, et je l’ai perdu au jeu.
— Je ne sais, répondit-elle. Briscadieu a parlé de vous ce soir avec le maître de l’auberge. Ce dernier lui conseillait de se défaire de vous. Briscadieu a résisté jusqu’ici, il peut changer d’avis. Partez.
Bien que je ne crusse pas au danger dont elle me menaçait, je lui promis de suivre son conseil et de partir ; en même temps, lui prenant la main, qu’elle m’abandonna sans contrainte, je la conjurai de me dire quel était le motif de l’intérêt qu’elle me portait. — Ce n’est pas certainement la première fois que le hasard nous met en face l’un de l’autre, lui dis-je en terminant, il faut que vous me disiez où je vous ai rencontrée.
— Dans les landes de Mombalère, dit-elle ; rappelez-vous le camp des bohémiens et la petite zingara avec laquelle le soir vous regardiez les étoiles.
C’était la Nina. Pauvre fille ! elle était bien changée certes. Elle était plus belle que lorsque nous nous promenions ensemble au milieu des bruyères ; mais quelle différence ! Combien elle était gaie alors, et combien elle était triste et sombre en ce moment !
— Et Andrès ? lui dis-je.
— Mort.
— Et Lou-Ian ?
— En prison. On l’accuse d’avoir volé des chevaux. Il en a encore pour six mois. Nous sommes tous dispersés ; je l’attends ici.
— Vous avez donc changé de nom ?
— Est-ce que j’ai un nom ? répondit-elle ; je m’appelle Pepita aujourd’hui ; comment m’appellerai-je demain ? Suis-je une créature humaine ? J’en doute quelquefois à la façon dont on nous traite. Lou-Ian m’a laissée ici, et m’a ordonné de l’attendre, je l’attendrai.