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— Félix ?… C’est vrai, répondit Berthe avec une expression singulière.

Elle détourna la tête en attachant à ses poignets et à son cou les bijoux qui étaient dans l’écrin. Sa poitrine se gonfla sous le scintillement des pierreries, et une larme parut entre ses cils.

Une nuit, en dansant au ministère des finances, elle apprit le prochain mariage de M. d’Auberive, qu’elle n’avait pas revu depuis la soirée des Italiens. Elle changea de couleur. AU bout d’un quart d’heure, Félix, qui venait de quitter une table de whist, s’approcha d’elle. — Qu’avez-vous ? lui dit-il, étonné de sa pâleur.

— On étouffe ici, répondit-elle.

Il lui prit le bras vivement et l’emmena. En arrivant dans sa chambre, elle tomba évanouie. M. Claverond, qui ne l’avait jamais vue dans un pareil état, fut effrayé ; on réveilla M, Des Tournels en toute hâte, mais déjà Berthe revenait à elle. Elle réprima un tremblement nerveux qui l’avait saisie en ouvrant les yeux. — Ne vous effrayez pas, dit-elle, la chaleur m’a suffoquée.

M. Claverond était fort ému, mais, la crise passée, il éprouva le besoin de faire un peu de morale : — Dieu m’est témoin que je ne voudrais pas vous contrarier, reprit-il en se posant devrait la cheminée ; mais peut-être dansez-vous trop.

— Peut-être, répliqua Berthe.

À quelque temps de là, M. Des Tournels reçut un billet de faire part qui lui annonçait le mariage de M. Francis d’Auberive avec Mlle Julie de Mauplas. Un doute lui traversa l’esprit. Il se souvint du bal et de l’accident qui l’avait suivi. Une heure après, étant seul avec sa fille et la regardant bien en face, il lui demanda si ce jour-là elle avait eu connaissance du mariage de leur ancien ami : — Non, répondit Berthe tranquillement.

M. Des Tournels l’embrassa avec un sentiment de reconnaissance.

M. Des Tournels mourut bientôt après avec la parfaite conviction que Berthe était heureuse, ne regrettait rien et ne souhaitait rien. Il s’endormit en paix, la remerciant de la tendresse et du bonheur dont elle avait entouré ses derniers jours. Berthe se retira à la Marelle pour y passer la plus longue partie de son deuil ; elle devait en revenir au bout de trois mois, elle y était encore à la fin de l’année. Une sorte d’abattement profond s’était emparé d’elle ; elle ne se plaignait pas et ne souffrait pas, disait-elle ; mais elle dépérissait lentement. À la voir silencieuse, pâle, amaigrie, se traînant à petits pas le long des sentiers, on l’aurait prise pour un exilé pleurant sa patrie. La présence de ses enfans, — car alors elle en avait deux, — la faisait sourire, mais ne la ranimait pas ; elle assistait à leurs