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dans le brouillard du matin, qui jetait un voile sur la Tamise. La rue aux Huîtres se trouve située très au-dessous du niveau du marché ; on y descend par des échelles appuyées à un wharf flottant qui s’abaisse et qui s’élève avec la marée. Une vingtaine de bateaux étaient à l’ancre : on eût dit, à voir d’en haut leurs ponts chargés d’une multitude d’hommes et de femmes, que ces vaisseaux allaient sombrer. Les huîtres ne se crient point : elles se vendent au boisseau pour un prix qu’on débat avec le salesman. Il y en a d’ailleurs de diverses qualités[1]. Un homme dont on ne voit que le bonnet rouge paraître et disparaître ramasse avec une pelle les huîtres dans un des fonds du navire ; un autre les mesure dans un boisseau, tandis que les marins, dans leur habit de Guernesey, se tiennent assis sur les rebords du bateau en fumant avec nonchalance leur pipe matinale. L’acheteur ne peut emporter ses huîtres lui-même ; il faut qu’il les remette aux mains des commissionnaires [regular shoremen). Il y a aussi les moules et d’autres coquillages qu’on apporte au marché dans des sacs. Enfin je découvris à travers la brume un groupe de bateaux aux flancs de chêne poli, et dont la forme indiquait une origine hollandaise : c’étaient les bateaux d’anguilles. Ils étaient entourés de barques chargées d’acheteurs. À chaque demande, le maître du bateau, — un Hollandais, — plongeait une sorte de filet plat dans un réservoir et en ramenait un nœud d’anguilles. Les habitués les examinaient avec attention et cherchaient à réduire les prix. Ce marché sur l’eau est une des scènes les plus intéressantes et les plus animées de la ville de Londres. Quand je repassai par Billingsgate-Market, la vente était à peu près terminée. Je ne vis plus dans les coins obscurs du marché et dans les rues voisines que des groupes occupés à diviser les lots de poissons. Les costers se cotisent entre eux le plus souvent pour faire face aux exigences de la criée, et se partagent ensuite leurs achats dans des sacs et des corbeilles. Il était maintenant neuf heures et demie, — l’heure du déjeuner.

Laissant leurs richesses du jour à la garde de Dieu et du policeman, les marchands des rues se dispersaient. Je suivis un grand nombre d’entre eux dans une maison bien connue des costers, — Rodvay’s Coffee-House. Là un homme peut déjeuner pour 2 pence. J’entrai dans une grande salle entourée de tables, et où plus de quinze cents personnes prenaient leur repas du matin. La réunion

  1. Les diverses espèces d’huîtres anglaises sont les perles natives, les Jerseys, les old Barleys et les communes. Une grande partie de ces coquillages se débite en détail dans les rues de Londres. Le marchand d’huîtres est un type : debout avec son chapeau sur la tête devant une petite table chargée d’une poivrière et d’un flacon de vinaigre, il ouvre les précieux bivalves aux ouvriers, ses pratiques.