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rieux et constant qu’il entretient avec le monde des idées; or ici l’Allemand se retrouve, et Weber n’eût point montré tant d’inquiétude à l’endroit des premières échappées buissonnières du jeune maître vers l’Italie et vers la France, s’il eut davantage réfléchi à certaines conditions de race contre lesquelles ni les fantaisies ni les engouemens du génie ne sauraient prévaloir, et qui gouvernent l’homme en dépit de sa volonté.

Libre à Rossini de se gausser du monde entier et de prendre en badinage ses propres chefs-d’œuvre; pour Meyerbeer, il ne lit de personne, et de lui-même moins que de quiconque. Le respect qu’il professe à l’égard de sa pensée, il l’étend d’ailleurs sur l’œuvre de chacun, et rien d’intéressant, de méritoire, à quelque titre que ce soit, n’échappe à son information, car si l’auteur des Huguenots aime sa musique (et qui pourrait lui en vouloir d’un goût si naturel?), ce qu’il aime surtout avec ardeur et foi, c’est la musique, et l’art n’eut jamais d’apôtre plus convaincu. On se demande souvent quel secret possèdent ainsi certaines intelligences pour demeurer jeunes et fécondes alors que tout vieillit autour d’elles. Ce secret, je vais vous le dire : c’est la recherche incessante du beau, la croyance au but qu’on se propose, l’amour de l’étude par qui se retrempent nos forces, une certaine curiosité de vivre et de s’instruire qui vous met en contact et en sympathie avec tout ce qui s’élève. On connaît d’illustres preux du romantisme de 1830 qui, depuis vingt ans retirés dans leur tour d’ivoire, comme l’empereur Barberousse dans sa grotte, ont tellement pris à tâche de s’isoler, qu’ils en ont perdu jusqu’au sentiment de leur époque, et qui ressemblent, au milieu des générations contemporaines, à ces personnages enchantés des contes de Perrault. Meyerbeer a d’autres habitudes, et ce n’est pas lui qui fermera jamais sa porte ou sa fenêtre à ces courans d’air, de lumière et d’électricité en dehors desquels l’imagination ne saurait vivre. Voyez plutôt comme il prête l’oreille aux bruits du temps, comme il en observe les indices, comme il en étudie les productions. A l’exemple de Goethe, il sait que tout a été pensé dans ce bas monde, et il repense en musique l’œuvre des poètes et des historiens, des statuaires et des peintres. Vous auriez peine à trouver quelque part une idée qui ne l’ait point ému, une poésie qui lui soit restée étrangère. D’Eschyle à Shakspeare, de Luther à Molière, de Ronsard à Novalis, où sa rêverie ne s’est-elle pas égarée! La Chanson de Mai à côté de la bénédiction des poignards, ou encore de cette ouverture de Struensée, dessinée et peinte comme les fresques de Cornélius dans le Campo-Santo de Berlin, composition austère et savante, faite pour ramener à la grandeur, à la sévérité de la forme première un genre de symphonie aujour-