son œuvre. Que n’a-t-on pas dit des nonnes de Robert le Diable,
des patineurs du Prophète, des naïades des Huguenots, des deux
orchestres de l’Etoile du Nord, enfin de la cascade du Pardon de Ploërmel? Resterait peut-être à se demander comment procèdent les autres compositeurs du temps présent. Loin de se montrer fort dédaigneux au sujet de ces pompes scéniques, nous voyons
qu’ils les recherchent au contraire infiniment. D’ailleurs que nous
importent ces préoccupations du détail, ce soin minutieux des
accessoires, si par cet appel à la curiosité du vulgaire le maître ne
travaille qu’à s’acquérir un droit de plus de lui faire entendre le
plus noble langage de l’art? J’estime certes à leur valeur la Dame Blanche, Joconde et le Domino Noir; mais quand je vois M. Meyerbeer donner à l’Opéra-Comique une œuvre qui, conçue dans les
justes proportions du genre, produit sur le public l’effet religieux
et grandiose d’une symphonie de Beethoven, j’avoue que je ne me
sens pas le courage de disserter sur les moyens préliminaires par
lesquels l’auteur a rassemblé là cette foule qu’il transporte et moralise, et que je ne saurais lui en vouloir de s’être servi de l’autorité
de son nom et de son génie pour élever vers l’idée de Dieu et de
la nature tant de cœurs bourgeois étonnés de battre. « Celui-là,
écrit Schiller, qui a fait assez pour les bons esprits de son temps
a vécu aussi pour la postérité. »
Wer den Besten seiner Zeit genug gethan,
Der hat gelebt für alle Zeiten.
Cette parole du grand poète, qui fut par momens un excellent critique, M. Meyerbeer peut se l’appliquer et jouir en pleine liberté des succès de l’heure actuelle sans craindre le jugement de l’avenir. D’ailleurs, pour certains de ses ouvrages, la postérité n’a-t-elle point déjà commencé? « Cent ans! nous disait un jour une personne d’esprit; oh! ce livre est plus vieux que ça, il a vingt ans! » La partition des Huguenots touche à la trentaine. Pour les chefs-d’œuvre de ce genre, c’est avoir franchi le seuil des siècles. M. Meyerbeer a compris son époque, il a fait pour elle tout ce qu’il y avait à faire, et l’autorité si légitime qu’il exerce au milieu de tant de discussions passionnées prouve que son époque à son tour le comprend. Qu’il se rassure donc : quelle que soit la place que l’avenir lui assignera, elle ne saurait être qu’au premier rang et parmi ces artistes penseurs qui, comme Beethoven, ne cessèrent de tendre vers le bien, vers le mieux, et prirent pour devise ce mot de tous les génies vraiment puissans et convaincus : Excelsior!