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de son mari. Un aimable et sérieux écrivain, qui connaît parfaitement ces matières, Mme la princesse de Belgiojoso, montrait dernièrement ici même[1], et avec beaucoup de bonheur, cette condition subalterne de la femme en Lombardie. Mme Crawford reproduit les mêmes observations pour la Toscane. Quand le travail est fini et que le mari sort, la ménagère doit rester au logis. « Il ferait beau voir, disait l’une de ces créatures dévouées, mon mari m’emmener à la promenade! Comme cela ferait rire les voisins! comme ils nous montreraient au doigt en nous voyant sortir ensemble, bras dessus, bras dessous, comme deux amoureux, ou côte à côte, en voiture, nous prodiguant les mots tendres, mon cœur, mon âme, et mille autres fadaises! Non, non, les femmes doivent rester à la maison pour la nettoyer, épousseter les meubles et faire la cuisine! Si nous voulons que la vie soit supportable et que la paix règne dans le ménage, il faut que nous sachions endurer avec douceur et patience un regard sévère, une parole dure...» Mme Crawford n’a vu dans ce langage que le signe de l’asservissement, de l’avilissement de la femme, et il ne paraît point qu’elle en ait été attendrie. Cependant, si les femmes qui raisonnent de la sorte sont nombreuses en Italie, le bonheur domestique n’y doit pas être si rare, car on chercherait vainement un meilleur moyen de l’assurer. Certes on ne peut dire que les vertus de leur état font défaut à ces épouses fidèles, à ces bonnes mères de famille : elles manquent peut-être d’élévation, d’idéal, de poésie; mais on ne saurait sans injustice les accuser de tyrannie, d’insubordination ni de frivolité. Enfin comment concilier la sévérité des mœurs en Italie par rapport à la vie extérieure des femmes avec la tolérance qu’on y professe par rapport à l’amour? Il semble que chacun soit César et qu’aucune femme ne doive être soupçonnée, et cependant on admet ces cavaliers servans dont il est bien surprenant que Mme Crawford n’ait pas dit un mot, et il n’y a qu’indulgence pour toute beauté qui n’a qu’un amant à la fois, pourvu qu’elle soit séparée de son mari. Ce qui ne se pardonne pas, c’est de se vendre; mais se rendre et se donner, c’est obéir à la voix du cœur, qui est le maître de la vie humaine, et l’on a tout dit contre une accusation d’intrigue ou de liaison amoureuse quand on répond : «Elle l’aimait! » Comme les Français, les Italiens ne veulent pas de scandale; seulement nous en voyons où ils n’en voient pas, et réciproquement.

Après la veuve et la femme mariée, c’est le tour de la jeune fille. Mme Crawford insiste toujours sur la privation absolue de liberté; mais ici elle exagère visiblement. Elle avait des billets pour la cérémonie du lavement des pieds au palais Pitti, cérémonie présidée par le grand-duc lui-même, et elle voulait y conduire la fille de son hôtesse. Il y avait à peine dix minutes de chemin; cependant la mère prudente refusa son consentement, sous prétexte qu’elle n’avait sous la main aucun membre de sa famille pour conduire la jeune personne. De là Mme Crawford se hâte de conclure, par une généralisation hardie, que les jeunes Florentines ne peuvent sortir qu’accompagnées d’un très proche parent. Ici l’erreur est manifeste, et il faut croire, ou que Mme Crawford était encore peu connue, ou que la mère craignait que sa fille ne saisît l’occasion pour échanger quelques signes avec son amant, ou

  1. Voyez, dans la Revue du 15 mai et du 1er juin, Rachel, histoire lombarde.