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quer l’infanterie française, dont la part a été si glorieuse dans nos dernières guerres, que de lui refuser les aptitudes spéciales exigées d’un corps de cavalerie irrégulière. L’événement a d’ailleurs donné tort à la théorie aventureuse qu’on l’appelait à justifier. Et pourtant celui qu’on chargea d’organiser les bachi-bozouks était le plus propre sans contredit à mener à bien une pareille tâche. C’était un habile et rude cavalier, un chef de partisans s’il en fut, qui avait conduit sous le drapeau de la France les cavaliers les plus audacieux du monde, les Arabes; c’était le créateur des spahis d’Afrique, le général Yusuf.

Qu’est-ce au fait qu’une cavalerie irrégulière? quelle idée peut-on s’en former? Le général Benkendorf nous l’apprend, et le portrait est tracé de main de maître. «Le cavalier irrégulier, dit-il, n’est soumis à aucun règlement de service en campagne qui lui prescrive ce qu’il doit faire, comment il doit se conduire dans telle ou telle circonstance. Il peut agir comme il l’entend, puiser ses instructions dans son jugement, selon le degré d’intelligence dont il est doué, et c’est une source dont la force et l’abondance ne peuvent être calculées. Puisse cette mine féconde (les cosaques) ne pas être dilapidée imprudemment et sans mesure! » Si l’on appliquait ces sages maximes aux spahis, on obtiendrait l’élément véritable de la force que nous cherchons, et le cosaque de Benkendorf trouverait un rude antagoniste dans le spahi d’Afrique. Ces deux types sont placés à des extrémités opposées, l’un au nord, l’autre au midi. Ils ont pu entrer en lice en Crimée : à l’Alma, le peu de spahis qui s’y trouvaient ont donné la mesure de ce que l’on pouvait attendre d’eux; mais on s’est empressé de les démonter, eux si attachés à leurs chevaux. Voilà la « dilapidation imprudente, » car le bachi-bozouk est bien inférieur au spahi.

Quand j’attaque l’organisation actuelle des spahis, il ne faut pas se méprendre : tel qu’il est, ce corps est admirable; mais dans cette cavalerie, habillée, armée uniformément, tout est régulier. Elle manœuvre par escadrons, par régiment, elle est appelée quelquefois à faire les manœuvres de ligne, et c’est sous ce point de vue que je l’attaque, parce que l’on a faussé son but et son institution. Le général Yusuf, qui a créé les spahis, en conviendra tout le premier. Il voulait dans le principe laisser l’Arabe à lui-même; il le connaissait trop bien : il savait qu’il n’y avait rien à lui apprendre pour la nature de la guerre à laquelle il était destiné, et que ces espèces de centaures seraient dénaturés, si on les régularisait.

La cavalerie turque, telle qu’elle est aujourd’hui, et qui nous a fourni le bachi-bozouk, peut-elle entrer en comparaison avec la cavalerie arabe? Sans contredit, on peut affirmer l’infériorité de la pre-