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plus souvent la forme d’une voûte cintrée, et s’enfoncent sous le sol à des profondeurs diverses. Cette masse de travaux représente un capital enfoui qui a été évalué à la somme énorme d’un million et demi ou de 2 millions de livres sterling. Lorsqu’un des principaux égouts de Londres se trouve mis à nu par des fouilles que nécessitent certains travaux de réparation, il est curieux de voir combien l’excavation est profonde, combien de lignes de tuyaux de gaz et de conduits d’eau il faut traverser avant que les ouvriers rencontrent la voûte du canal souterrain. Plusieurs des grands égouts étaient des ruisseaux ou de petites rivières qui serpentaient à ciel ouvert le long des plaines avant que Londres fût devenu le géant que nous connaissons. Parmi ces anciennes rivières englouties, on peut citer le Fleet, — aujourd’hui le Styx de Londres, — qui autrefois coulait à ciel ouvert d’Islington, à travers Bagnigge-Wells, Clerkenwell, Fiedham, Holborn et Farringdon-Street, dans la Tamise. Il paraît avoir été jadis assez fort pour porter des vaisseaux marchands jusqu’à la hauteur de Holborn. Deux autres de ces courans disparus étaient le Walbrook et le Lang ou Long-Bourne, qui en s’abîmant a du moins laissé son nom à l’un des quartiers de Londres.

Des ingénieurs attachés à une commission spéciale[1] ont signalé l’état ruineux de quelques-uns des égouts, les accumulations de boue qui s’y forment, l’odeur repoussante et quelquefois mortelle qui s’exhale de tels dépôts, les explosions terribles de certains gaz mis en contact avec la flamme d’une torche, et qui peuvent foudroyer les êtres vivans. Eh bien ! c’est dans ces champs de l’horreur, de la nuit et du silence, que le sewer-hunter va chercher son butin. Sous la ville qui rit, gronde, bourdonne, entre-croise au soleil le flot des hommes et des voitures, le chasseur d’égout marche ou le plus souvent rampe, triste, inquiet, courbé, cherchant dans ce tombeau, lequel commence et finit on ne sait où, ce qui est tombé de la cité des vivans. Je me hâte de dire que cette industrie est en décadence. Autrefois l’entrée des égouts était libre ; les anciens architectes avaient sans doute jugé que le caractère repoussant de ces lieux souterrains les protégeait assez contre la curiosité humaine et contre l’amour du lucre. En tout cas s’aventurait qui voulait, à ses risques et périls, dans ces sombres défilés où tout présente l’image de la mort et de la dissolution, plus hideuse que la mort elle-même. Depuis quelques années, il n’en est plus ainsi : l’entrée des servers qui débouchent dans la Tamise a été fermée par un mur de briques, et dans ce mur se trouve une ouverture défendue par une grille de

  1. Metropolitan commissioners of sewers. Ceux qui seraient curieux de connaître l’état actuel des égouts de Londres peuvent consulter les comptes-rendus de cette société, et aussi les blue boolts of parliamentary Reports, 1854-55 et 1855-50.