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impériale qui s’était perpétuée dans la mémoire des hommes semblait réalisée! Grandeur illusoire, réalité trompeuse, car au fond l’empire ne pouvait rien donner à l’Italie en échange de sa liberté, et l’Italie n’avait réussi par son abdication qu’à fortifier l’indépendance de la papauté. Encore même cette indépendance, loin de gagner à une telle renonciation la sécurité dont elle avait besoin, allait être mise en péril par les successeurs allemands de Charlemagne. Le saint-siège avait cru se donner un appui; il ne tarda point à sentir que l’auxiliaire pouvait se changer en maître, que l’aroué de l’église romaine pouvait devenir son accusateur et son juge.

La mosaïque à fond d’or qui décorait la tribune voisine de l’ancien palais de Latran représentait d’un côté le Christ remettant les clés à saint Pierre et l’étendard à Constantin, de l’autre Charlemagne agenouillé devant l’apôtre en même temps que Léon III, l’un recevant les insignes du pouvoir impérial, l’autre ceux de l’autorité spirituelle. Ce tableau semble être la traduction, rendue sensible aux yeux, de la théorie qui faisait graviter dans un équilibre harmonieux la chrétienté tout entière autour de deux centres, le pape et l’empereur, délégués par Dieu même pour gouverner les choses du ciel et de la terre. Et en effet les textes les plus formels viennent nous attester que cet équilibre était l’idéal conçu par le moyen âge. L’empereur Frédéric II écrivait au pape Grégoire IX en 1232 : « Bien que les deux puissances, le sacerdoce et le saint-empire, paraissent distinctes dans les termes qui servent à les désigner, elles ont réellement la même signification en vertu de leur origine identique. Toutes deux sont dès le principe instituées par l’autorité divine, et elles doivent être soutenues par la faveur de la même grâce, comme elles pourraient être renversées par la destruction de notre foi commune. C’est donc à nous deux, qui ne faisons qu’un et qui croyons certainement de même, qu’il appartient d’assurer de concert le salut de la foi et de restaurer les droits de l’église aussi bien que ceux de l’empire[1].» En 1310, Clément V, sur le point de couronner Henri de Luxembourg, disait de son côté : « La sagesse de la divine Providence, répandant sur les fidèles les dons de sa grâce, a institué sur la terre les deux dignités prééminentes du sacerdoce et de l’empire en leur donnant plein pouvoir pour le bon gouvernement de ces mêmes fidèles. Elle a voulu que, pour l’accomplissement de leur auguste ministère, l’une et l’autre puissance, fortifiées de leur mutuel appui, agissant dans une parfaite unité de vues et dans une concorde profitable au genre humain, exerçassent plus librement

  1. Hist. diplom. Frederid II, t. IV, p. 409, 410.