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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/667

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que certains esprits, routiniers dans leur haine et plagiaires dans leurs soupçons, choisiraient pour sonner un tocsin d’alarme, comme si les ombres de Chatham et de son fils se dressaient devant nos yeux et menaçaient du haut de leur tombeau !

La déclamation joue un rôle en ce monde, et ce qu’on fait de téméraire et d’absurde pour l’amour de la rhétorique est considérable, à en juger par notre histoire. Cependant il est d’abord difficile de prendre au sérieux soit les craintes qu’excitent certaines colères, soit les colères qui provoquent certaines craintes. Tant que nous n’entendrons que des paroles, nous serons fort tranquilles ; mais à des paroles il faut en opposer d’autres. Il est bon de dire les choses comme elles sont aux gens qui les disent comme elles étaient. Les principes sur lesquels reposent les sociétés modernes, les opinions les plus fortes et les intérêts les plus puissans en France sont pour le maintien d’une certaine union entre nous et les Anglais. Rien n’a sérieusement changé depuis le temps où cette pensée était devenue la règle de la politique pratique ; tout gouvernement qui n’est pas la légitimité sait bien qu’il n’est reconnu sans restriction, sans arrière-pensée qu’en Angleterre, et que toute autre alliance est une combinaison d’un jour. Quiconque connaît notre histoire sait bien que sans le concours de l’Angleterre aucune ligue ne saurait se former en Europe qui soit durable, et dont la France ne puisse avoir raison. Quiconque compte pour quelque chose les intérêts de la civilisation générale, l’équilibre du monde, l’indépendance des peuples, sait bien que toutes ces choses ne sont en sûreté que lorsque la France et l’Angleterre sont d’accord pour les défendre. Ce sont là des vérités proverbiales, et que nous ne rappellerions pas, si nous nous adressions au gouvernement seul.

Quand on presse les ennemis de l’alliance que nous avons toujours soutenue, on n’obtient guère qu’ils exposent des calculs ou des idées. Ils parlent surtout de sentimens publics, tout en se défendant de les partager. Ils sont au-dessus, ils s’en font honneur, de ces misères de rivalité nationale ; mais la rivalité existe, disent-ils : l’histoire en dépose, les deux nations sont rivales. Rivales de quoi ? pourrait-on demander. À cette question, la réponse ne serait pas facile. Puisqu’on s’appuie sur l’histoire, il faudrait nous dire quel est le motif de rivalité historique, motif grave, essentiel et digne d’être discuté le fer à la main, qui subsiste aujourd’hui.

On nous dispensera de remonter aux guerres féodales. Il est d’usage et il est raisonnable de dater de la paix de Vervins le système politique de l’Europe. Certes ce n’est pas au grand roi qui mit alors la France à son rang qu’il faudrait demander des exemples et des raisons pour opposer l’Angleterre à la France. De l’alliance des deux