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un dernier effort. Demain, Bastien se mettra en campagne avec les métayers du château, et, à force de battre les champs, ils la rencontreront peut-être. Tant que nous n’aurons rien fait pour celle qui a reçu le dernier soupir de votre mère, de ma pauvre sœur, nous n’aurons pas acquitté la dette de la reconnaissance.

Marie avait toujours eu grand’peur de la vieille folle, qui courait après elle dans son enfance pour l’embrasser. Souvent elle s’était cachée derrière les haies pour ne pas être vue, lorsque la pauvre Jeanne, passant par les chemins, maugréait contre les bleus et levait son bâton d’un air menaçant. Cependant elle n’osa élever la moindre objection contre les projets de sa tante, et dès le lendemain matin Bastien accepta la mission dont on le chargeait, en protestant qu’il irait jusqu’au bout du monde, si mademoiselle l’ordonnait, mais qu’il était assez avisé pour dénicher à lui seul le gibier en question. Il partit donc : ses grandes bottes, sa culotte de peau, son chapeau à cornes, sa vieille veste verte à courtes basques, dont sa queue poudrée blanchissait le col, lui donnaient une physionomie étrange ; mais les paysans de la contrée, loin de sourire en le voyant passer, le prenaient au sérieux et l’appelaient monsieur Bastien, parce qu’il avait eu un grade dans la cavalerie vendéenne. Le vieux serviteur, monté sur un grand cheval de chasse, s’enfonça par les chemins creux, côtoyant les genêts et les bois, interrogeant les métayers qu’il rencontrait. Cette battue dura plusieurs heures, car il allait toujours, tirant du côté de La Gaudinière, sans avoir pu recueillir aucun indice de la vieille Jeanne. À force de regarder autour de lui, Bastien découvrit au pied d’un coteau escarpé un taillis dans lequel il lui était souvent arrivé de se blottir, avec bien d’autres, pendant les guerres. Mettant pied à terre, il attacha son cheval au tronc d’un arbre et se glissa sous la ramée. Les renards et les lapins avaient tracé un labyrinthe de petits sentiers à travers le bois. Bastien rampa sur les genoux jusqu’au plus épais du fourré, prêtant une oreille attentive, retenant son haleine et plongeant ses regards sous le feuillage sombre. Après une demi-heure de recherches, il lui sembla apercevoir une forme humaine, ou plutôt un paquet de haillons roulé au milieu d’un amas de fougères. De ce repaire obscur s’élevaient des gémissemens et des sanglots. C’était la vieille Jeanne qui répétait, en cachant entre ses genoux sa face ridée : — Ils m’ont volé mon trésor, les gredins !… Ils m’ont volé mon trésor !… Qui donc m’a trahie ?… Je n’ai pourtant révélé mon secret à personne !…

— Mère Jeanne, dit à demi-voix le vieux serviteur, votre trésor n’est point volé. Voulez-vous que je vous le rende ?… eh bien ! venez avec moi.

— Les bleus ! s’écria Jeanne entendant une voix humaine ; les