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leur coque criblée de boulets, leurs mâtures et leurs,machines avariées, demanderont toujours dans les ports de longues réparations.

Si les Russes en 1854 eussent battu la mer avec leurs escadres, si les Autrichiens en 1859 eussent fait sortir leur petite marine, les conditions d’une lutte de bâtimens à bâtimens restaient les mêmes qu’autrefois, avec un peu moins de durée dans la bataille, à cause de la vapeur et de la justesse du tir, mais aussi avec de bien plus fortes avaries en matériel. Vainqueurs ou vaincus, les vaisseaux doivent rentrer au port après un combat. Une escadre de réserve est donc indispensable, et si la guerre continue, si les rencontres se multiplient, une manne comme la nôtre, dont le matériel est limité à quarante vaisseaux, a promptement épuisé ses ressources. Heureusement de grands progrès ont été accomplis. Depuis un an, la marine blindée marche à pas de géant ; l’artillerie de son côté possède aujourd’hui le canon rayé, se chargeant par la culasse, pouvant tirer dix coups à la minute, et portant à plus de 4,000 mètres des boulets creux cylindro-coniques d’une puissance énorme. Chez toutes les nations maritimes, le canon rayé deviendra le seul moyen efficace de défendre les côtes, et composera l’armement des batteries de tous les bâtimens de guerre.

Nos vaisseaux et nos frégates actuels, dans un temps très rapproché et dans un cas d’attaque de place, peuvent donc être forcés de s’éloigner encore du centre de l’action, sous peine d’être coulés : leur rôle comme moyen efficace de diversion est encore amoindri ; mais dans une croisière ou dans une escadre, s’ils rencontrent un seul des nouveaux bâtimens cuirassés, fût-il inférieur en force et en vitesse, qu’arrivera-t-il ? Le vaisseau, filant douze nœuds, prendra la fuite, ou, s’il veut combattre, le seul parti en apparence raisonnable est de courir sur l’ennemi pour le couler par sa masse en l’abordant ; mais avant qu’il ait atteint son adversaire, il restera plus de dix minutes exposé à son feu, si le bâtiment cuirassé est immobile, et bien plus de temps encore, si ce bâtiment fuit devant lui. D’ailleurs est-il sûr de le couler ? L’avant pourra-t-il subir un pareil choc sans s’ouvrir ? La machine ne se brisera-t-elle pas ? Dès ce moment, le vaisseau actuel est donc devenu à peu près inutile comme instrument sérieux de guerre, et ne peut plus même être pris comme unité dans le combat.

Cependant, si ces nouvelles batteries cuirassées exigeaient seulement la disparition de l’ancien matériel, elles ne seraient qu’une transformation de plus pour la flotte, et la forte dépense que ferait ainsi la France ne changerait rien à la position maritime qu’elle occupe aujourd’hui, car les progrès marchent à peu près simultanément chez tous les peuples, et l’équilibre actuel se rétablirait bientô