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desséchées des substances colorantes ou cristallines. À cet effet, le marchand dispose d’un atelier complet ; il est donc à la fois, sous un certain point de vue, négociant et préparateur de thé. Chaque chop forme de ces mélanges reçoit un nom désignant la qualité et par suite la valeur comparative du thé qu’il contient. Les caisses sont alors remises à des coolies, et transportées ainsi à dos d’homme, à travers monts et vallées, jusqu’aux fleuves qui communiquent avec les cités où les attend le commerce européen. Chaque coolie ne porte qu’une seule caisse quand le thé est de qualité supérieure. Cette caisse trouve son point d’appui sur les épaules à l’aide de deux tiges de bambou qui en rendent le transport facile. Jamais elle ne doit reposer sur le sol, et, lorsqu’il s’arrête dans les auberges de la route, le coolie doit la suspendre le long d’un mur à l’aide encore des bambous qui lui ont servi à la porter. On comprend sans peine tout ce que de pareils moyens de transport entraînent de dépenses et de lenteurs. Entre les pays producteurs et les grandes villes d’exportation telles que Canton ou Shang-haï, on a calculé que la durée des transports variait de 1 mois à 6 semaines. La qualité du thé ne souffre nullement, il est vrai, de ces longs voyages par terre, et l’on sait que les thés si justement estimés sous le nom de thés de caravane n’arrivent en Russie qu’après un parcours qui exige souvent deux années de marche[1].

Malheureusement, à côté de quelques produits d’un goût délicat, les marchands de thé livrent souvent des préparations dont nous avons déjà signalé le caractère frauduleux. Ils abusent ainsi de la supériorité reconnue à la Chine comme pays producteur de thé, car les cultures de cette plante dans l’Inde, à Java, au Brésil, n’ont jusqu’ici qu’une bien faible importance. Des expositions moins favorables, une main-d’œuvre plus dispendieuse et moins exercée n’ont pas permis encore à ces localités de produire des thés qui fussent comparables, pour le prix de revient et les qualités, aux produits chinois[2]. Ces derniers seuls méritent de fixer notre attention. C’est

  1. Les transactions auxquelles donne lieu le thé entre la Russie et la Chine à la foire de Novgorod représentent en moyenne par année une valeur de 35 millions, c’est-à-dire plus du tiers de la somme produite par l’ensemble des opérations de cette foire. Il parait certain au reste que, par suite de la multiplicité des intermédiaires, les consommateurs européens paient le thé dix ou quinze fois plus cher qu’il ne coûte dans les fermes chinoises.
  2. Nous devons noter cependant qu’à l’exposition universelle ouverte à Paris en 1855, on a observé un fait assez étrange, qui a dû laisser dans l’esprit des visiteurs la croyance qu’on était parvenu à préparer en France un thé indigène semblable aux produits inimitables jusque-là : l’un des exposans, habile arboriculteur, présenta des thés provenant des cultures d’Angers, où cet arbrisseau prospère, et même des serres du Muséum d’histoire naturelle de Paris, si bien préparés qu’on retrouvait dans les variétés