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dans un opéra de Zingarelli, la Distruzione di Gerusalemme. Son physique peu avantageux excita d’abord un certain étonnement, car on s’écria dans la salle : « Il est bossu ! » En effet, Tacchinardi avait la tête enfoncée dans de grosses épaules qui faisaient saillie et avaient toute l’apparence d’une difformité. C’était un chanteur brillant, mais un mauvais comédien que Tacchinardi, dont le style fleuri formait un grand contraste avec celui de Crivelli, ténor non moins remarquable qui partageait avec lui la faveur du public parisien. Tacchinardi eut surtout un grand succès dans la Molinara de Paisiello, tandis que Crivelli excitait l’admiration des connaisseurs dans le rôle de Lindoro de la Nina du même compositeur. Tacchinardi est resté à Paris jusqu’en 1815. Retiré à Florence depuis plusieurs années, Tacchinardi a formé un grand nombre de bons élèves parmi lesquels il faut citer, après Mme  Persiani, Mme  Frezzolini, dont nous avons pu admirer l’élégance et la dolce maestà.

Les concerts ont déjà commencé. C’est M. Sivori qui a brillamment inauguré la saison par quatre soirées qu’il a données dans la salle Beethoven. Secondé par des artistes de mérite tels que MM. Accursi, Ney, Rigault et surtout M. Ritter, pianiste au style vigoureux, net et d’une remarquable précision, M. Sivori a charmé l’auditoire très distingué qu’il avait réuni autour de son archet merveilleux. Du reste, on remarque dans toutes les directions de l’art musical un retour significatif vers les œuvres des vieux maîtres qui ont été consacrées par le temps et l’approbation des connaisseurs. Un homme zélé, un chercheur patient et plein d’ardeur pour les bonnes choses, M. Farrenc, a conçu le projet de réunir et de publier un choix des meilleures compositions pour le piano, depuis les clavecinistes du XVIe siècle jusqu’aux larges et pathétiques inspirations de Beethoven. Le Trésor des Pianistes, car tel est le titre de cette publication intéressante, réunira, dit M. Farrenc, toutes les œuvres, pour piano seul, de Mozart, de Beethoven et de Weber, toutes les œuvres remarquables d’Haydn et d’Emmanuel Bach, une très grande partie de celles de Sébastien Bach, les meilleures pièces de Dominique Scarlatti, les meilleures sonates de Clementi, les œuvres de Hummel. Ainsi le Trésor des Pianistes mettra sous les yeux de l’amateur et de l’artiste cette série de formes et de tâtonnemens successifs qui, depuis William Bird, John Bull, Claudio Merulo, au XVIe siècle, jusqu’à Chopin, le dernier des maîtres modernes, ont servi à manifester le génie de l’homme dans une partie très importante de l’art musical. De pareilles publications révèlent bien l’esprit investigateur de notre.époque et le besoin que nous éprouvons tous de connaître le passé pour mieux préparer l’avenir, car, redisons-le en finissant, l’admiration des vieux monumens de l’art alimente en nous la puissance créatrice, loin de l’empêcher.

P. Scudo.

V. de Mars.