Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

indemnité supposait donc comme opération préalable une vérification générale de tous les titres de possession et l’établissement d’un cadastre régulier, deux opérations qui, appliquées à ces territoires immenses, effraient la pensée par leur complication et leur longueur. Ici encore se retrouvait sous une face nouvelle l’inconvénient d’avoir affaire à une demi-civilisation. Avec des nations policées, on traite en assurance ; avec des tribus barbares, on n’a pas de droits acquis à ménager ; on les pousse devant soi : elles reculent, et tout est dit. Mais les Arabes ont assez de droits sur le terrain qu’ils occupent pour qu’on ne puisse, sans blesser l’équité, les spolier administrativement, pas assez pour qu’on puisse contracter avec eux sans péril ; ils en ont assez pour arrêter un vainqueur scrupuleux, pas assez pour rassurer un acquéreur prudent.

Tel est exposé très imparfaitement et même (je crains qu’on ne s’en doute pas) très brièvement l’ensemble et comme le cercle de difficultés dans lesquelles se trouvait enfermée à son début l’œuvre entreprise par l’occupation française en Afrique. De quelque côté qu’elle se tournât, sous quelque point de vue qu’elle voulût envisager la tâche qui lui était dévolue, elle rencontrait la route barrée dès le premier pas. Voulait-elle se borner à une simple conquête ? La conquête était laborieuse, sanglante et stérile. Demandait-elle appui au commerce ? Le commerce répondait qu’il vit d’échanges, et ne peut rien porter là où il n’a rien à reprendre. Tentait-elle une colonisation directe ? Toute colonie agricole se compose de colons et de terres : il y avait très peu de colons à trouver en France et très peu de terres à leur donner en Afrique. C’est contre ces entraves de tout genre que l’administration algérienne a lutté pendant vingt-huit ans, hésitant, tâtonnant, mais ne renonçant jamais, essayant de tous les systèmes, entrant dans toutes les voies avec une persévérance souvent heureuse, parfois mal conseillée, toujours digne d’éloge. Il est grand temps d’en venir à examiner quel résultat elle a obtenu, et parmi tant d’obstacles qu’elle avait à vaincre, combien ont cédé à son habileté, combien ont résisté à ses efforts, combien même ont été accrus par son inexpérience et sa maladresse ; mais si on n’avait commencé par mesurer l’étendue de la tâche, on ne serait ni assez juste envers le succès obtenu, ni assez indulgent pour les fautes commises.

Dans cet examen même, deux parts devront être faites, comme nous l’avons annoncé : l’une pour l’ancienne administration, quia cessé moralement d’exister en 1858 avec la suppression des gouverneurs-généraux ; l’autre pour la nouvelle, qui commence avec la création du ministère de l’Algérie, et qui, si elle n’a pas encore eu le temps de beaucoup faire, a du moins beaucoup parlé, et dont on