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Malgré l’amère douceur qu’il avait trouvée dans ses adieux à Mme de Marçay, Ferni avait résolu de ne plus la voir, et, doutant avec raison de son courage, il voulut de nouveau quitter Paris. Il marqua de noir cette funeste journée sur le calendrier qu’il avait reçu d’elle, fit ses préparatifs de voyage, et arrangea tout pour s’éloigner le lendemain ; mais, pendant la dernière journée qu’il devait passer parmi nous, il rencontra un ami de Mme de Marçay qui s’étonna du changement de ses traits, et apprit avec surprise la nouvelle de ce prompt départ... Le hasard fit que Mme de Marçay fut presque aussitôt instruite de cette rencontre, et moins d’une heure après Ferni recevait un billet d’elle. On avait appris qu’il était souffrant et sur le point de partir; quitterait-il ainsi Paris sans dire adieu à ses amis?

Je serais le premier à blâmer Mme de Marçay, si la coquetterie avait eu la plus légère part à cette démarche; mais la pitié seule avait conduit sa plume. Elle voyait avec regret s’éloigner un ami déjà bien cher; elle ne pouvait se résoudre à le laisser partir désespéré. Ferni accourut chez Mme de Marçay dans un trouble extrême, lui parlant tantôt avec douceur, tantôt avec amertume, et s’efforçant de justifier un départ qu’elle remarquait comme un acte de faiblesse. — Ce qui me chasse d’ici, s’écriait-il, c’est la douleur intolérable que j’éprouve à ne pouvoir plus vous regarder sans penser que vous êtes à un autre, et par votre libre volonté, qu’en ce moment même peut-être vous venez de le voir.

Elle lui fit signe en souriant qu’il n’en était rien, et comme il la regardait d’un air égaré, elle ajouta : — Il est bien loin d’ici, et vous ne courez guère le risque de le rencontrer, ni moi non plus ; des centaines de lieues nous séparent.

Toutes les douleurs et toutes les joies sont relatives pour la pauvre nature humaine, et Ferni, qui souffrait cruellement depuis deux jours, se sentit presque délivré de son supplice. Il ne songeait plus à la triste réalité de cet autre amour, à l’existence certaine d’un rival heureux; il était tout entier à cette idée qu’ici du moins Mme de Marçay ne lui était enlevée ni disputée par personne, qu’ici du moins nul homme n’était plus près que lui de son cœur. Il s’assit à ses pieds, lui prit une main qu’elle laissa reposer sur ses genoux, dans Ta main de son ami, et l’heure passa pour Ferni triste et délicieuse, tandis qu’il entretenait Mme de Marçay de ses illusions détruites, des projets d’ambition et des rêves de bonheur qu’il avait formés pendant qu’il espérait encore être un jour aimé d’elle, de son avenir à jamais désolé par un incurable et inutile amour. Elle lui répondit avec douceur, l’exhortant à la résignation et au courage, flattant son orgueil, réveillant son ambition, lui montrant le charme