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de l’étroite amitié qui pouvait toujours les unir. Tous deux parlaient à voix basse, et leur entretien était souvent interrompu par de longs silences. Ferni pressait de temps à autre avec passion la main qui lui était livrée, et, machinalement sans doute, Mme de Marçay lui rendait son étreinte. Quiconque les eût considérés ainsi, inclinés l’un vers l’autre, les yeux humides, parlant à demi-voix ou se taisant, comme perdus dans leurs pensées, les eût certainement pris pour deux amans sincères doucement enivrés de leur bonheur, et oubliant, dans l’échange de leurs tendres promesses, que le temps passe et que le monde existe. Qui aurait jamais cru, au contraire, avoir sous les yeux une femme résolue à ne point se rendre, un homme consumé par les fureurs de la jalousie et de l’amour?

Ferni lui-même s’y laissa presque tromper et reprit quelque espérance. Aussi le lendemain fut-il étonné d’être reçu avec un peu de froideur. Il voulut rompre cette glace, reprendre l’éternel sujet de son amour; on lui répondit si nettement que c’était peine inutile, on parut si étonné et si fatigué qu’il en parlât encore, qu’il sortit accablé et sérieusement dégoûté de la vie. Cette fois ce fut moi qui le pressai de partir. Ces émotions si constantes et si vives avaient altéré sa santé, et je commençais à craindre pour sa raison. Il était devenu presque incapable de travail et même d’attention suivie pour aucune chose. Un ouvrage qu’il avait entrepris sur l’Italie, et dont une partie déjà publiée lui avait fait honneur, restait interrompu, et il y avait peu d’apparence qu’il pût jamais reprendre la plume. Ses amis commençaient à remarquer sa sombre tristesse et ses distractions continuelles. « Ce pauvre Ferni ne va pas bien, » disait-on autour de lui d’un air mystérieux. Je jugeai qu’il fallait l’éloigner à tout prix, et je le conjurai de faire un long voyage. Je vis avec tristesse que sa volonté même était atteinte, et que la volonté d’autrui avait sur lui pour la première fois quelque empire. Lui qui ordinairement ne savait ce que c’était que d’obéir, il m’obéit ce jour-là avec une docilité d’enfant et une sorte d’accablement qui me déchira l’âme. Je l’aimais plus tendrement que jamais, et j’étais navré de le voir partir. Plût à Dieu cependant qu’il ne fût jamais revenu!


II.

Ce qui me porte surtout, poursuivit M. d’Hersent après un instant de silence, à voir dans l’histoire de mon ami la main de la fatalité et une sorte de jeu cruel de la nature, c’est que je n’ai jamais pu bien comprendre pourquoi il a été impossible à Mme de Marçay d’ai-