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tous les récits d’Hoffmann, le Majorat. C’est dans un bois semblable que je me représente ces chasseurs fantasques, jouets des puissances invisibles, poursuivis par des rêves étranges et d’idéales amours. Si les bois du Monastère ont une poésie germanique, le Monastère même a une poésie tout italienne. Quoiqu’il soit habité par des moines grecs, il est frère de ces couvens qui s’épanouissent entre des eaux vives et des vignes grimpantes sur cette terre où la religion, comme la Madeleine d’un grand maître, s’étend sous des ombrages enchantés. Cette pieuse demeure a des jardins disposés en terrasse au bord de la mer, où l’on arrive par d’élégans et spacieux escaliers. Ainsi se trouvent échelonnés les uns au-dessus des autres des arbres aux chevelures épaisses. Le promeneur, aux étages les plus élevés, peut voir tous ces flots de verdure se balancer à ses pieds. Au bout de ces jardins, c’est la mer couronnant cette grâce de sa majesté, et toutefois gracieuse elle-même dans son apparition éblouissante en ces lieux privilégiés, car l’horizon du Monastère n’est point cette morne étendue d’eau, sans cadre, sans limite, qui a quelque chose de pesant et d’oppresseur. La mer se montre là entre des rochers aux formes harmonieuses et hardies, de vrais rochers antiques, faits pour être entourés par les Océanides et fournir un piédestal à Prométhée.

Le supérieur du couvent vint recevoir le général Canrobert. C’était un homme âgé déjà, aux traits réguliers, à la longue barbe, portant le costume religieux avec beaucoup de grâce et de dignité. Le général lui promit de veiller sur son monastère, où l’on mit sur-le-champ un poste. J’ai su depuis que le sergent qui commandait les hommes préposés à la garde de cette pieuse demeure avait, avec la bonhomie enjouée de nos soldats, conquis l’affection de toute la communauté. En toutes les contrées où le pousse l’esprit de généreuse aventure dont notre pays est animé, le soldat français est toujours le même. Je l’ai vu en Afrique, le lendemain d’un combat dans les montagnes, aider le Kabyle qu’il avait vaincu la veille à bâter un âne ou à porter un fardeau. L’histoire rapporte que les Gaulois étaient ainsi. Ce génie expansif et secourable, qui fait sourire par les formes familières dont il se revêt, est cependant peut-être une des forces les plus sérieuses de notre nation. Ce n’est pas avec une portion de son cœur que la France remporte ces étranges victoires, ardentes comme la foi du moyen âge, pures comme les vertus antiques ; c’est avec son cœur tout entier. Chez elle, la bonté et le courage vont du même pas ; seulement c’est d’un pas leste, hardi, joyeux, et qui n’est point fâché d’être réglé par les accens du tambour.

Je me rappelle que l’on fit remarquer au général Canrobert une sorte de cabine construite à l’extrémité du jardin, sur le rivage