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si émouvante harmonie avec tout ce qu’ils encadraient. C’était surtout derrière nos batteries que ces ravins s’emplissaient de projectiles. Un brûlant amas de fer lancé par la place allait s’enfoncer en partie dans ces gorges profondes où l’on était sans cesse forcé d’errer. Dans les sentiers que l’on suivait au fond de ces vallées rocailleuses, les bombes jetaient parfois la nuit une lumière utile. Je raconterais avec plaisir plus d’une excursion nocturne dans ces lieux à la fois bruyans et déserts, si je ne craignais de lasser ceux qui me suivent en les promenant éternellement dans le cercle où notre activité était renfermée.

Malgré ce qu’il avait d’inflexible, ce cercle cependant, à certaines heures, apparaissait tout illuminé et agrandi par le puissant éclat des spectacles imprévus. Un soir, je ne me rappelle plus à quelle époque, je sais seulement que c’était le jour où l’on ouvrit avec la poudre ces tranchées que les soldats baptisèrent du nom expressif d’entonnoirs, on put vraiment se croire transporté à l’une des scènes entrevues par les sublimes visionnaires des saints livres. L’explosion de nos mines, le feu de nos attaques, les décharges de la ville faisant tonner à la fois toutes ses pièces, avaient produit un ouragan humain d’un aspect aussi formidable que les tempêtes mêmes de Dieu. Le sol tremblait sous ces incessantes détonations, et le paysage entier, ce paysage sans arbres, sans maisons, ce royaume visible de la destruction, était sillonné dans ses vastes espaces par de tels éclairs, que les chevaux tournaient sur eux-mêmes, en proie à de folles terreurs. Je suis peu frappé d’ordinaire par la grandeur des objets matériels. Le reflet d’une âme ardente sur un visage noblement passionné me frappe plus que la lueur d’un incendie sur les murailles d’un palais. Je trouve qu’il est difficile aux choses les plus puissantes d’atteindre les hauteurs où nous porte la moindre de nos pensées. Eh bien! je dois dire que ce soir-là le fer et la poudre me parurent mériter un sincère hommage ; ils avaient une grandeur d’êtres vivans, on pourrait même dire d’êtres surnaturels, car ils se montraient dans la splendide horreur qui devait environner aux âges bibliques les anges chargés des colères célestes.

Cependant notre armée s’était considérablement augmentée. Au milieu même de l’hiver, nous avions vu arriver la garde impériale. Je l’avoue, les premiers grenadiers que j’aperçus en faction, sous un ciel neigeux, devant de longues files de tentes, me causèrent une impression de plaisir. Je ne crois pas à la puérilité des uniformes. Ces couleurs éclatantes, ces ornemens étranges, que de tout temps et en tout pays nous voyons la guerre adopter pour le costume de ses desservans, ont, suivant moi, un sens profond. Comme l’habit du prêtre, l’habit du soldat désigne un homme que sa condition met à part du reste de la société. Par ce qu’il a de bizarre, d’insolite,