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parfois d’inexplicable dans ses élégances, de farouche, presque de sauvage dans sa majesté, le costume militaire représente les idées, les instincts, la passion, la foi en un mot dont il est un des signes extérieurs. La folie de l’épée, comme la folie de la croix, s’exprime au dehors par cet appareil qui étonne et blesse même quelques froides intelligences, mais qui conquiert après tout des milliers de cœurs généreux. Parmi les vêtemens guerriers, ceux qui sont consacrés par quelque glorieux événement de notre histoire, qui rappellent quelques grandes émotions patriotiques, ne deviennent-ils pas quelque chose de semblable au drapeau, c’est-à-dire des objets que l’âme a faits siens, où elle salue sous la matière tout un ordre de nobles pensées? Pour en revenir à mes grenadiers, je vis avec joie, sous ce ciel brumeux, dans ce pays lointain, près de cette ville entourée de fumée, ce bonnet qui me parlait d’Austerlitz et de Moscou.

Ce fut à Kamiesh que le général en chef visita les premières troupes de la garde, au moment où elles venaient de débarquer. Je m’aperçois que je n’ai pas encore parlé de Kamiesh. C’était un port excellent, mais un triste village. Sur les bords de la baie providentielle où s’entassaient les vaisseaux qui nous apportaient nos munitions et nos vivres, une colonie de marchands s’était installée. A côté des demeures mercantiles s’élevaient de grandes constructions où l’intendance avait ses magasins. Un seul mode d’édifice existait pour cette variété d’usages : c’était la baraque, cette sœur vulgaire de la tente, qui ne vous attache point plus solidement qu’elle à la terre où le sort vous a envoyé, et n’a point cet aspect attrayant, cette élégance aérienne de la toile, mobile, légère, soumise à tous les vents, comme les destinées qu’elle abrite.

Je ne hais point les palais en bois que les rives du Bosphore mêlent à leurs palais de marbre; ils sont peints, ils sont sculptés, ils ont l’ambition de plaire aux yeux, ils expriment à leur manière le louable et gracieux désir d’être un ornement en ce monde. Malheureusement nos baraques de la Mer-Noire ne les rappelaient guère. Quand ces habitations maussades, négligées, chétives, s’appuyant à un sol détrempé, dessinaient sur un ciel gris leurs toitures chargées d’un amas de neiges boueuses, nous aurions senti le spleen ouvrir ses ailes noires au fond de notre cœur, si le spleen n’était pas une harpie réservée par une volonté divine aux lieux où vivent l’oisiveté et le luxe.

Je ne puis songer à ce pauvre village, grelottant sous un ciel d’hiver, sans me rappeler une rencontre que je fis un soir dans ses environs. J’aperçus à pied, sur la route que suivaient les convois et les corvées, un homme jeune encore vêtu d’un habit ecclésiastique. Cet humble voyageur portait le nom d’un de ces brillans seigneurs qui