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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/687

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agricoles; son existence était devenue tout à fait celle d’un country-gentleman anglais. Dans ses rapports avec les propriétaires, ses voisins, il apportait une simplicité et une bonhomie qui font trop souvent défaut à ceux qui ont été les artisans de leur propre fortune. Il rappelait volontiers les souvenirs de sa pénible jeunesse, mais il le faisait sans faux orgueil et sans affectation. « Je viens de Callerton (près Newcastle), disait-il un jour à un de ses amis; j’ai revu les champs où je tirais des navets à 2 pence la journée. » Il n’allait plus que rarement à Londres; il y assistait aux conférences tenues dans le bureau de son fils, véritable ministère des travaux publics de la Grande-Bretagne; cependant il revenait toujours avec plaisir à Tapton. Mille ouvriers occupés dans ses mines et ses forges le regardaient comme un père : il faisait élever des écoles, créait des caisses de secours et de prévoyance, ouvrait des salles de lecture ; jusqu’au dernier moment, il s’occupa du bien-être de ceux qui l’entouraient. Il mourut le 12 août 1848, à l’âge de soixante-sept ans, léguant à ses concitoyens l’exemple de ce que peut la persévérance jointe à l’intégrité du caractère, et au monde la plus admirable et la plus féconde découverte des temps modernes.

Robert Stephenson, qui pendant si longtemps avait secondé son père dans ses travaux, devait encore agrandir la gloire du nom qu’il portait. Une partie considérable du réseau des chemins de fer de la Grande-Bretagne fut construite sous sa direction, et il présida aux études et à l’établissement des voies ferrées dans beaucoup de pays étrangers : la Norvège et la Toscane lui doivent leur réseau; il s’occupa aussi des chemins de fer du Danemark, de l’Allemagne, de la Suisse, du Canada, de l’Inde anglaise; la ligne d’Alexandrie au Caire est l’une de ses œuvres. Parmi les grands travaux d’art qu’on lui doit, il faut citer le pont sur la Tyne à Newcastle, construit en bois et en fer, les tunnels et les remblais du chemin de fer de Chester à Holyhead, les ponts de Conway et Britannia, sur le détroit de Menai, les ponts du Nil, le pont Victoria, qui unit les deux rives du Saint-Laurent au Canada.

Ces grands ouvrages ont été en quelque sorte le dernier terme des progrès que l’industrie des chemins de fer a su réaliser dans l’une des branches les plus importantes de l’art de la construction. Les premiers ponts en pierre avaient des arches circulaires, qu’il fallait élever à une très grande hauteur, quand on voulait leur donner des dimensions assez grandes pour que la navigation ne fût pas gênée. On substitua graduellement aux cintres pleins des arches surbaissées, d’une portée de plus en plus hardie. Puis, pour obtenir des portées encore plus grandes, on remplaça la pierre par la fonte et le fer. Enfin l’attention des ingénieurs se porta sur le système des ponts suspendus : on revenait ainsi, par un long détour, au