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grave et doux qui remplissait la chambre : c’était Jacob qui lisait à demi-voix quelques passages des prophètes ou de l’Ecclésiaste.

Vers le matin, Salomé ouvrit les yeux, reconnut Rodolphe penché sur elle, épiant la vie, et poussa un grand soupir. Jacob sauta sur les mains de sa fille et tomba à genoux. Rodolphe se précipita hors de la chambre. Il sanglotait. — J’ai élevé ma voix et j’ai crié au Seigneur ; j’ai poussé ma voix vers Dieu, et il m’a exaucé ! criait Jacob les mains dressées vers le ciel.

Salomé était sauvée, mais il ne fallait pas la perdre de vue. Il ne fut plus question de départ. Pendant un mois, Rodolphe veilla au chevet de la malade ; la convalescence fut longue et pleine de périls. Salomé ne semblait renaître que par la volonté qu’elle avait de se conserver à son père ; mais quand Rodolphe ne pouvait pas la voir, ses yeux, malgré elle, s’attachaient sur lui avec une expression de douleur et de tendresse qui la transfigurait. Un soir que Rodolphe, épuisé de fatigue, s’était endormi près d’elle à la suite d’une crise passagère, Salomé prit doucement des ciseaux et coupa sur la tête inclinée du jeune homme une boucle de cheveux qu’elle glissa sous son oreiller. Ruth la surprit tandis que, d’une main faible, elle caressait ce souvenir d’un amour condamné. — Ah ! dit Salomé, n’est-il pas mort pour moi ?… C’est comme un brin d’herbe sur la pierre d’un tombeau. — Ruth détourna la tête en pleurant.

Bientôt Salomé put quitter sa chambre. On profita du soleil de midi pour lui faire respirer l’air dans le petit jardin. Elle s’appuya sur le bras de son père afin d’essayer quelques pas sur l’herbe. Elle promena ses regards encore voilés sur l’immense rideau de forêts qui l’entourait. Les hauteurs en étaient couvertes de neige. Le ciel était pâle. « Comptez sur moi, je suis à vous, » dit-elle à son père en lui pressant le bras. Zacharie bondissait autour d’elle et poussait des cris d’allégresse ; Rodolphe la suivait d’un œil triste. Combien peu de temps s’écoulerait avant le jour où il devait s’éloigner pour ne plus revenir ! Il était heureux de voir Salomé debout, et regrettait cependant qu’elle n’eût plus besoin de lui. M. de Faverges marchait auprès d’eux ; vingt lettres le rappelaient à Paris, mais il lui semblait que le boulevard des Italiens et l’Opéra étaient à mille lieues de ce petit coin de montagne. Il avait pour Salomé le cœur d’un frère. — Je conçois qu’on adore cette petite huguenote, disait-il à Rodolphe.

Quand cette vaillante fille eut reconquis la vie, elle prit un jour le bras de M. de Faverges. — Vous avez tous nos secrets, dit-elle ; ce n’est donc pas à vous que je cacherai rien de ce qui se passe dans mon cœur. Il y a là une déchirure que la présence de Rodolphe fait saigner de plus en plus ; je ne dis pas qu’elle cicatrisera jamais :