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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/724

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Il y avait trois cents ans que l’Europe artiste et savante croyait en être en possession : il lui a bien fallu confesser sa méprise. Déjà même pendant le dernier siècle son instinct l’avait avertie qu’elle faisait fausse route, que Vitruve l’avait fourvoyée. Aussi, dès cette époque, que de travaux, que de recherches pour découvrir ce précieux mystère, le véritable art grec ! Pendant qu’à la surface les Boucher, les Vanloo semblent tout diriger, qu’on ne jure que par eux, qu’on ne connaît d’autre idéal qu’un voluptueux caprice, l’érudition travaille et complote en silence un retour à l’antiquité, et non pas à cette antiquité de formes indécises, aux vêtemens flottans, ni grecque ni romaine, comme l’entendait Lebrun, mais à une antiquité nouvelle, sévère de lignes et de costume, une pure antiquité grecque. D’heureuses découvertes secondaient l’entreprise : des villes entières venaient d’être trouvées sous les scories d’un volcan, villes italo-grecques par malheur, et non franchement hellènes ; n’importe, c’étaient de précieux indices, des élémens nouveaux, assez pour bâtir un système, pour parler aux imaginations ; assez pour rêver la Grèce, pas assez pour la retrouver.

Telle est en effet l’impuissance de tout effort spéculatif en semblable matière, l’insurmontable difficulté de retrouver par la pensée des lignes et des contours sans le secours des yeux, que les chefs de ce mouvement rénovateur, tous, à des degrés divers, habiles, savans, ingénieux, pleins de patience et d’ardeur, quelques-uns même de génie, je cite seulement Caylus, Barthélémy, Winckelmann, faute de posséder et de pouvoir connaître les fondemens véritables de l’art qu’ils prétendaient ressusciter, réduits à l’inventer d’après des données incomplètes et d’insuffisans témoignages, qu’ont-ils pu faire ? Qu’ont-ils imaginé ? À quel art grec nous ont-ils conduits ? À celui dont David fut l’éditeur et non le père, qu’il accepta tout fait de leur science, et écrivit sous leur dictée de son puissant pinceau.

Ils avaient voulu fuir l’influence romaine, se dégager de l’esprit de Vitruve, qui pesait sur Lebrun, et chercher jusque dans l’archaïsme un remède à la décadence ; ils réussirent à éviter l’épaisseur, la lourdeur, l’indécision des lignes, mais tombèrent dans la sécheresse, la maigreur et l’aridité. Système étrange qui supprimait la vie par peur de ses excès ! Sa nouveauté, son exagération même assurèrent son triomphe : il fut accueilli d’abord presque avec fanatisme, puis délaissé, et finit par s’éteindre dans une sorte de léthargie, parce qu’en effet c’était la mort que cette prétendue pureté.

À peine était-il tombé que bientôt nous apprîmes, presque sans y penser, sans effort de génie, sans nouveau Winckelmann, quelle était la véritable loi, la condition première de cet art si longtemps