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Faverges dans la vallée après lui avoir indiqué le chemin à suivre. Lui-même venait de quitter le pont jeté sur le torrent, lorsqu’en se retournant il n’aperçut plus son fils. — Et Zacharie ? dit-il.

Il chercha du regard autour de lui, et ne vit rien. Il appela, et Zacharie ne répondit pas.

— Je l’ai vu courir tout à l’heure le long du Schwartzenbach, il s’en allait du côté de l’écluse, dit une voisine.

Jacob se sentit frissonner de la tête aux pieds, et s’élança sur les bords du torrent. On entendait au loin le tumulte des eaux qui descendaient la pente avec une effrayante rapidité et un grondement terrible semblable au retentissement de cent canons bondissant sur une chaussée d’airain. Tous les bruits s’effaçaient devant ce bruit. Jacob jeta un regard dans le fond du ravin. Du même coup d’œil, il vit comme un rempart mouvant fait de mille troncs de sapins roulant sur un lit de pierres énormes, et en avant, au travers du ruisseau, essayant de fuir, son fils, que la poursuite d’un oiseau avait amené là. Jacob voulut crier ; sa voix fut étouffée par la clameur du torrent. La peur paralysait Zacharie ; il essaya de sauter sur la rive, son pied glissa, et il tomba sur le genou. Jacob sentit une sueur froide mouiller ses épaules ; il courait, mais les sapins et le flot couraient plus vite que lui. C’est alors que M. de Faverges, qui s’était égaré, sortit du milieu de la forêt ; il vit l’enfant et le péril où il était ; s’élança d’un bond dans la rivière, le saisit entre ses bras et sauta sur le bord au moment où l’écume bouillonnait autour de lui et montait jusqu’à sa ceinture. Un effort suprême le mit hors des atteintes du flot, mais une pièce de bois lancée par la violence des eaux ricocha contre un pan de roches et le frappa au flanc. Il ouvrit les bras et tomba évanoui auprès de Zacharie.

Quand il revint à lui, il était dans la maison de Jacob, à la Herrenwiese. Il éprouvait une grande lassitude et une violente douleur au côté. Salomé, inquiète et pâle, était près de son lit. Il se souvint de tout ce qui s’était passé, et chercha Zacharie du regard. — L’enfant dort, il est bien, dit la voix grave de Salomé.

La secousse seule et la douleur avaient fait perdre connaissance à M. de Faverges. Il n’avait aucun organe lésé. La pensée du service immense qu’il avait rendu à Jacob ne lui permettait pas, ainsi qu’à Rodolphe, d’accepter plus longtemps son hospitalité ; il craignait, en prolongeant son séjour à la Herrenwiese, qu’on ne l’accusât de profiter de la reconnaissance de tous pour imposer son ami à la famille. Aussitôt qu’il put se tenir debout, il prit la résolution de partir, et en avertit Rodolphe, qui l’approuva. Le jour même, il boucla sa valise et prévint Jacob que le lendemain il lui ferait ses adieux.

— Tu es un juste, et tu as sauvé mon fils bien-aimé ! dit le garde, à présent je suis à toi, et tout ce que j’ai est à toi.