Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une idée illumina M. de Faverges. — Eh bien ! dit-il avec fermeté, si vous croyez me devoir quelque chose en récompense de ce que j’ai fait, accordez à Rodolphe la main de votre fille.

Jacob devint pâle. — Qu’exiges-tu ! s’écria-t-il, c’est comme si tu m’enfonçais un poignard dans le cœur.

— Écoutez, continua M. de Faverges, mon ami porte au travers du visage la trace d’une dette que j’ai contractée, aidez-moi à m’acquitter, vous qui voulez être mon débiteur. Je n’exigé rien, réfléchissez seulement.

— Ah ! tu es cruel, répondit Jacob.

Le soir, on s’assit à la table commune. Personne ne parlait et personne ne mangeait. Zacharie, qui pleurait, se leva de sa place avant la fin. Un sentiment de douleur, qui pour chacun des convives avait des causes diverses et des profondeurs inégales, pesait sur tout le monde. Jacob n’osait pas interroger Salomé, de peur que le son de sa voix ne lui déchirât le cœur. Comme on s’était tu pendant le repas, on se tut encore après. Seul, M. de Faverges, qui ne perdait pas Jacob des yeux, essaya d’ouvrir la bouche. On ne lui répondit pas, et tout rentra dans le silence.

À six heures, Jacob se leva. C’était la dernière soirée que Rodolphe devait passer avec Salomé. On se sépara sans échanger une parole, chacun par un accord tacite ajournant au lendemain l’heure des adieux.

La chambre que Rodolphe occupait était située au premier étage, à côté de celle où Jacob avait son lit. Dans une autre partie du bâtiment, et séparées du logement du garde et de son hôte par un mur de refend, se trouvaient celles de Ruth et de Salomé. Une sorte d’anéantissement s’était emparé de Rodolphe après qu’il eut refermé la porte sur lui. Il regardait tous les objets qui l’entouraient, et il lui semblait que c’étaient autant d’amis dont il allait se séparer ; il étouffait. Par la fenêtre ouverte, Rodolphe voyait toute l’étendue du plateau ; une lune froide en éclairait la solitude ; son cœur trouvait un aliment dans la tristesse de ce paysage silencieux. Comme il écoutait vaguement les murmures de la forêt, il entendit comme un gémissement sourd qui montait dans la nuit. Le moindre bruit circule et retentit dans la sonorité de ces maisons de bois. Rodolphe tendit l’oreille, et tout son cœur se fondit. Salomé priait et pleurait à quelques pas de lui. Dans quel lieu n’eût-il pas reconnu le son de sa voix ! Il pencha la tête pour mieux entendre ces douces plaintes, qui lui disaient que tant d’amour répondait au sien. Alors une lumière, qui filtrait par les fentes de la cloison voisine, attira son attention ; il s’en approcha machinalement, et regarda par les interstices des planches. Jacob, assis devant une lampe, lisait dans sa grande bible ; il était tout habillé. La clarté de la lampe tombait