Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/768

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suivre un comte de Rhendorf qui lui plaît davantage. Marguerite, la femme infidèle, a laissé à son mari un enfant qu’elle désire revoir, et qui devient l’instrument d’une réconciliation suprême, mais après des péripéties plus étranges les unes que les autres. Abandonnée déjà par son amant, le comte de Rhendorf, qui s’est marié clandestinement, Marguerite, qui depuis quatre ans n’a pas vu sa fille Marie, doit pouvoir bientôt l’apercevoir de loin, grâce à l’intervention d’une amie d’enfance, lorsqu’un orage éclate, et la foudre vient, comme un coup du ciel, la priver de la vue. Voilà donc Marguerite, pauvre, délaissée, errante et aveugle, qui arrive en mendiant à la foire de Leipzig. Des saltimbanques qui exercent sur la place publique leurs tours périlleux forcent une petite fille qu’ils maltraitent à divertir les assistans, qui plaignent le sort de la pauvre enfant dont ils admirent la gentillesse. A quelques mots échappés aux femmes de la foule, Marguerite reconnaît son enfant, qui a été volé on ne sait trop comment, et qu’elle arrache violemment aux mains des ravisseurs. L’enfant retrouvé et le malheur de Marguerite apaisent la colère du mari, qui pardonne à l’épouse infidèle. Ce triste mélodrame est aussi obscur qu’ennuyeux, et nous aurions eu de la peine à en comprendre la donnée, si nous n’avions parcouru le libretto de M. Piave, qui est écrit dans cette langue particulière de faux lyrisme que semblent affectionner les Italiens depuis une trentaine d’années.

La musique est l’œuvre d’un jeune violoncelliste napolitain, M. Gaetano Braga, qui habite Paris depuis quelques années. Nous voudrions n’avoir que de bonnes paroles à dire à M. Braga, qui est intelligent et qui semble rempli du désir de bien faire; mais l’art, que nous devons défendre contre les atteintes des téméraires, et l’ovation ridicule que l’auteur de Margherita la Mendicante s’est laissé donner par une trentaine de ses compatriotes qui se croyaient sans doute dans un petit théâtre d’Italie, nous forcent à dire la vérité. M. Braga est un imitateur maladroit de M. Verdi, dont il emprunte les idées, sans le talent et la vigueur, qu’on ne saurait contester à l’auteur célèbre de Nabucco et du Trovatore. Or nous avons trop souvent combattu ici la manière et les allures du maître pour nous montrer plus indulgent envers ses disciples. On assure que M. Braga n’en est pas à son coup d’essai, et qu’il a déjà produit en Italie et à Vienne un ou deux ouvrages qui lui ont valu l’assentiment du public : on ne s’en douterait pas en entendant la musique de Margherita la Mendicante, qu’on n’aurait pas dû accueillir sur un théâtre comme celui de Paris. A vrai dire, il n’y a que deux morceaux qui méritent d’être signalés dans l’opéra de M. Braga : le morceau d’ensemble qui forme le finale du second acte, ensemble d’un bel effet, qui rappelle, par la disposition des voix et leur marche ascendante en un crescendo vigoureux, le finale d’Ernani de M. Verdi et celui de la Lucia de Donizetti, puis le quatuor du troisième acte, qui nous paraît être plus original et appartenir davantage à M. Braga. Ni l’air que chante M. Graziani au premier acte, — Pur fra la cupa tenebra, — ni celui de Margherita, — Sol di que’ di rogionami, — ni le duo entre Margherita et son mari Rodolfo, — Come celeste contico, — ne sont des inspirations qui indiquent chez M. Braga une grande abondance d’idées musicales vraiment individuelles. Malheureusement l’art du compositeur napolitain ne compense pas cette absence d’originalité. Son orchestre est pauvre, son instrumentation dépourvue de coloris, les récitatifs