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surtout mal écrits, et l’absence de modulations se fait vivement sentir dans toute la partition de M. Braga, qui semble ignorer complètement les ressources de ce moyen puissant de variété. Il nous en coûte de porter un jugement aussi sévère sur l’opéra de M. Braga et d’aller au-devant du reproche qu’on nous adresse souvent, de n’admirer que les œuvres consacrées des maîtres et d’être impitoyable pour les essais de la jeunesse.

Nous espérons bien ne jamais cesser d’aimer ardemment les choses parfaitement aimables, et de nous montrer toujours difficile envers ceux qui n’ont pas de l’art une idée assez élevée pour ne s’être pas préparés à la lutte par des études sérieuses. Ou donnez-moi une simple chanson émue qui me révèle la passion et le génie, comme l’a fait Bellini, ou prouvez-moi que vous avez longtemps pâli aux pieds de la Muse en invoquant son amour. Les arts sont le luxe de la vie. L’état n’a besoin ni de mauvais peintres, ni de mauvais musiciens, ni de faux poètes, et en voyant cette foule besoigneuse de médiocrités se précipiter dans une carrière qui ne peut être parcourue avec succès que par un petit nombre d’élus, il faut dire aux critiques: Frappez, soyez-impitoyables, Dieu reconnaîtra les siens! L’exécution de Margherita la Mendicante a été à la hauteur de l’œuvre, et Mme Borghi-Mamo, qui est peut-être une des causes de ce misfatto, n’a trouvé dans le rôle déclamatoire de l’héroïne que des accens exagérés. Tout nous fait donc espérer que la leçon a été bonne, et qu’on ne recommencera pas une pareille épreuve sur le Théâtre-Italien de Paris.

M. Giuglini, l’agréable ténor dont nous avons déjà parlé, a paru le 29 décembre dans le rôle d’Edgardo des Puritani. Il y a été plus à son aise que dans celui de Manrico d’il Trovatore, sans parvenir toutefois à satisfaire complètement le public. La voix de M. Giuglini manque de force et d’étendue, car elle ne possède guère qu’une octave, de Wit du milieu de l’échelle à son homonyme supérieur. Dépourvue également de flexibilité, cette voix toute blanche de M. Giuglini a quelque chose de féminin. L’artiste a pourtant de la sensibilité, mais peu de distinction, et son style est composé d’oripeaux à la mode, et surtout de ce point d’orgue sur la troisième note du ton qu’affectionnent tant M. Graziani et tous les chanteurs du jour. Cependant M. Giuglini a été apprécié dans les Puritains, et on lui a su gré de ses bonnes qualités, quoiqu’elles ne fussent pas suffisantes pour faire contre-poids à d’écrasans souvenirs. Ah! Il tempo passato non ritorna più, comme dit la chanson. Il faut en prendre son parti et se résigner à ne plus entendre un répertoire pour lequel il n’y a plus d’interprètes. Qui chantera donc les Puritains après Rubini, M. Mario, Lablache, Tamburini et Mme Grisi?

Pour dédommager le public du départ de M. Giuglini, qui n’a fait à Paris qu’une très courte apparition, l’administration du Théâtre-Italien a produit le 12 janvier dans la Sonnambula une nouvelle cantatrice, née aux bords de la Seine et élevée à Paris. Nous voulons parler de Mlle Marie Battu, fille de l’honorable artiste de ce nom, qui a longtemps rempli les fonctions de sous-chef d’orchestre de l’Opéra. Mlle Battu est encore une élève de M. Duprez, dont l’école féconde fait déjà sentir son influence, et nous avons eu occasion de mentionner plusieurs fois son nom dans les pages de la Revue. Jeune, modeste, d’une physionomie intelligente, et suffisamment préparée au manège de la scène. Mlle Battu n’a éprouvé d’abord que ce léger embarras qui