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ajoute à l’intérêt qu’inspire une artiste bien élevée. Sa voix est un soprano aigu, d’une étendue au moins de deux octaves, car elle peut aller, je crois, jusqu’au mi supérieur sans broncher. Le timbre en est pur, mais un peu fiévreux et tremblotant dans certaines cordes du milieu. C’est une voix française, je dirai plus, une voix parisienne, qui a plus de mordant que de sonorité, plus de vibration que de force. Mlle Battu est l’une des élèves de M. Duprez qui vocalise le mieux, et, comme toutes les écolières aussi de ce grand artiste, Mlle Battu a de la tenue dans le style, elle sait imprimer à la phrase musicale l’accent qui lui est propre. C’est une qualité rare que peu de chanteurs possèdent de nos jours, et que M. Duprez a le don de savoir communiquer à tous ceux qui s’inspirent de ses conseils. Aussi Mlle Battu a-t-elle été parfaitement accueillie dès le premier air qu’elle chante en arrivant en scène : Come per me sereno, et surtout dans le délicieux andante : Sovra il seno la man mi posa, qu’elle a dit avec plus de bravoure et de hardiesse dans l’attaque des notes élevées que de charme et d’émotion intime. Ce n’est pas que Mlle Battu manque de sensibilité, mais c’est une sensibilité nerveuse qui ne rayonne point, et n’a pas la chaleur pénétrante du fluide mystérieux qui s’échappe directement de l’âme émue. Convenable et distinguée dans toutes les parties de ce rôle délicat de jeune fille, Mlle Battu a chanté avec un éclat tout particulier l’air final, élan suprême d’une joie ineffable. Nous ne voulons pas nous appesantir aujourd’hui sur quelques légers défauts qu’on pourrait reprocher à Mlle Battu, et troubler par des remarques inopportunes le succès réel qu’a obtenu cette cantatrice intéressante. Le talent de Mlle Battu a beaucoup de rapport avec celui de Mme Vandenheuvel, la fille de M. Duprez, c’est-à-dire que l’art y est plus abondant que la nature. En entendant chanter Mlle Battu, mes souvenirs se reportaient bien plus loin, car il me semblait entendre parfois Mlle Alexandrine Dupéron, aujourd’hui Mme Duprez, près de qui j’avais l’honneur d’être assis.

Quelle délicieuse partition que la Sonnambula de Bellini! J’avoue que c’est l’œuvre que je préfère de ce bel oiseau de paradis. Bellini a pu s’élever plus haut dans la Norma, révéler des qualités plus complexes dans les Puritains; c’est dans la Sonnambula qu’il a versé l’arôme le plus pur de son mélodieux génie. Que c’est bien là une vraie bucolique du pays de Virgile et de Théocrite! Un village tout en fête, une simple villageoise qui se marie, un nuage qui s’élève sur des amours innocentes et printanières, de grandes douleurs suscitées par une petite cause, comme il sied à une âme naïve de les éprouver, et puis la réconciliation, la fête de la vie reprenant son cours, voilà le thème modulé par Bellini sur sa zampogna, sur ses pipeaux d’Arcadie. Ce n’est point un docteur que Bellini, un maître qui ait longtemps médité et beaucoup appris; c’est un adolescent bien doué qui vient, une guitare à la main, nous chanter sa peine, il suo lamento, qu’il accompagne de quelques rustiques accords.

Il più tristo de’ mortali...


Qui n’a pas entendu chanter cet air du second acte de la Sonnambula par Rubini ne peut avoir une idée de la puissance du sentiment, de la puissance de la voix humaine et de l’art italien dans les plus modestes proportions. Jamais l’Allemagne ne saura produire à si peu de frais de tels effets.