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Le connétable voyageait en litière et fort lentement. Il arriva à La Palisse le jeudi matin 3 septembre. Il annonça à Warthy qu’il irait le lendemain à Lallière, de là à Changy, puis à Roanne, et qu’il se rendrait à Lyon en faisant trois lieues chaque jour; mais dans la nuit du jeudi au vendredi, le mal du connétable s’étant aggravé, comme les médecins le dirent à Warthy, le connétable ne sortit pas de La Palisse. Ce fut bien pis le lendemain. Pendant toute la nuit, les gens du connétable avaient été sur pied, allant, venant, parlant à haute voix, demandant et apportant des remèdes, et le matin Warthy fut prévenu par les médecins que le connétable, beaucoup plus souffrant et en proie à la fièvre, ne pouvait pas se mettre en route sans un véritable danger. Le connétable le lui confirma bientôt lui-même. L’ayant fait appeler auprès de son lit : — « Je me sens, lui dit-il, la personne la plus malheureuse du monde de ne pas pouvoir servir le roi. Si je passais outre, les médecins qui sont là ne répondraient pas de ma vie, et je suis encore plus mal que ne le croient les médecins. Je ne serai jamais plus en état de faire service au roi. Je retourne vers mon air natal, et si je retrouve un jour de santé, j’irai vers le roi[1]. » Il se tourna ensuite comme accablé et se tut.

Warthy lui exprima sa surprise et le mécontentement qu’éprouverait le roi à cette nouvelle. «Il en sera, dit-il, terriblement marri. » Ayant appris que le connétable devait ce jour-là coucher à Gayete et faire quatre lieues en retournant sur ses pas, tandis qu’il prétendait ne pas pouvoir en faire trois en s’avançant du côté 4e Lyon, il n’eut plus aucun doute sur la perfidie de ses intentions. Il courut en informer le roi, auprès duquel il se rendit à franc étrier, et arriva le soir même vers minuit.

François Ier fut encore moins disposé à sortir du royaume sur la foi de la maladie feinte du connétable et de son impuissance affectée qu’il ne l’avait été sur la promesse de sa prompte arrivée. Dans la nuit même, il fit arrêter Saint-Vallier, qui était à sa cour comme capitaine des cent gentilshommes de sa maison, Aymard de Prie, qui commandait une de ses compagnies d’ordonnance, Antoine de Chabannes, évêque du Puy, qui était revenu de Savoie sans avoir réussi auprès du duc, et quelques autres personnages qui étaient de la conjuration. Le 6 septembre au matin, il dépêcha une troisième fois Warthy vers le connétable, avec charge de lui dire combien il trouvait étrange qu’il eût assez de force pour retourner à Moulins, tandis qu’il en manquait pour se rendre à Lyon, que jusqu’alors il n’avait pas voulu croire aux projets qu’on lui attribuait, et dont maintenant il commençait à ne plus douter en voyant qu’il faisait

  1. Déposition de Warthy, Ibid., f. 31 et 32.