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en a vu partout, et elles sont devenues pour bien des gens le signe de la maladie des arbres, la preuve de l’empoisonnement des vers par la feuille. Bien que le passé suffît pour en démontrer l’innocuité, Mme de Lapeyrouse, digne sœur d’un membre de l’Académie des Sciences, voulut savoir à quoi s’en tenir sur ce point ; elle éleva exclusivement avec des feuilles tachées un certain nombre de vers à soie pris dans une chambrée voisine. Loin de souffrir du régime auquel ils étaient soumis, ces vers, plus aérés, plus espacés que dans leur magnanerie natale, profitèrent de ces avantages et montrèrent une supériorité marquée sur leurs frères. Un observateur peu réfléchi aurait pu croire qu’au lieu d’être nuisible, la feuille tachée était préférable à la feuille sans taches.

Quelques réflexions bien simples auraient dû suffire pour écarter l’opinion que je combats ici, et que n’ont d’ailleurs jamais admise ni l’Académie des Sciences de Paris ni la plupart des corps savans de province. Si le ver à soie est empoisonné par la feuille, il est évident que le mal ne doit apparaître que là où la feuille est malade, là où elle présente ces fameuses taches dont nous venons de parler. Or une triste expérience a prouvé que les récoltes ne réussissaient pas mieux dans les contrées où la feuille a toujours présenté ses caractères normaux que dans celles où l’on a vu les taches se multiplier sous l’influence de printemps exceptionnellement froids et d’étés pluvieux. Le département du Var tout entier peut ici servir d’exemple. — Si le ver à soie est empoisonné par la feuille, tous ceux d’une même chambrée, qui ont partagé la même nourriture dans des conditions identiques, doivent évidemment ou résister ou succomber dans la même proportion. Or ici encore l’expérience journalière est en désaccord complet avec cette conclusion. On a vu des milliers de fois les tables juxtaposées dans un même local porter les unes des vers nombreux présentant toutes les apparences de la santé, les autres des vers chétifs qui succombaient l’un après l’autre. Le magnanier interrogé n’hésitait pas à vous dire : « Les premières ont reçu de la bonne graine, les secondes de la mauvaise graine. » Il est fort rare en effet que la vérité perde ses droits d’une manière absolue, et que le bon sens ne proteste pas de manière ou d’autre contre les erreurs les plus généralement accréditées. Les partisans les plus décidés de l’empoisonnement par la feuille n’en admettent pas moins qu’on réussit généralement avec certaines graines, qu’on échoue à coup sûr avec d’autres, alors même qu’elles ont été récoltées avec les mêmes soins et conservées avec les mêmes précautions. Ces dernières sont donc en réalité malades ; mais comment le seraient-elles si elles avaient été pondues par des parens sains ? On voit que c’est à ceux-ci qu’il faut remonter,