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leurs litières ; chauffez cet air de manière à en mettre la température en harmonie avec la nature d’un insecte destiné à naître au printemps et à prolonger son existence jusqu’au cœur de l’été, et presque à coup sûr, malgré l’épidémie, vous serez payé de vos peines, vous aurez des cocons.

Malheureusement, on l’a vu, la pébrine n’est pas seulement épidémique, elle est de plus héréditaire. Toute graine pondue par un papillon pébriné est plus ou moins viciée, et ne donne naissance qu’à des vers presque universellement voués à une mort prématurée, malgré les soins les mieux entendus. Là est pour l’industrie séricicole une des grandes plaies du présent, une des grandes menaces de l’avenir. Ne pouvant plus, faute d’indications suffisantes, produire sur place, et par les procédés habituels, la graine qui leur est nécessaire, nos éducateurs ont dû chaque année recourir à l’étranger pour s’approvisionner. Ainsi a pris naissance le commerce des graines. Ce commerce, il faut le reconnaître, a rendu au pays un immense service : sans lui, la production des cocons eût été à peu près anéantie en France ; mais il a été trop souvent déshonoré par les fraudes les plus audacieuses, qu’encourageaient d’une part l’apathie inexplicable des victimes, et d’autre part la difficulté de constater le délit. Nous ne possédons pas en effet de moyen assuré pour distinguer la mauvaise graine de la bonne, celle qui est infectée de celle qui ne l’est pas. Les efforts tentés dans cette direction par MM. Vittadini et Cornalia en Lombardie, par MM. d’Arbalestier, Kaufmann et Mitifiot en France, n’ont encore produit que des résultats auxquels manque la sanction de l’expérience. Peut-être la prochaine campagne nous apportera-t-elle la solution de ce difficile problème. En attendant, la justice, privée des moyens d’investigation nécessaires, désarmée peut-être, dans certains cas, par quelque lacune de la législation, a laissé passer sans sévir bien des attentats. Et pourtant ceux-ci sont d’autant plus coupables qu’ils frappent à la fois le présent et l’avenir, l’individu et la société. Un sériciculteur qui achète de la mauvaise graine perd non-seulement l’argent qu’il débourse, mais encore celui qu’il dépensera pour une récolte frappée d’avance de stérilité ; par suite, pour alimenter ses manufactures, la France sera obligée d’aller acheter au dehors les cocons qu’elle n’aura pas produits. À ce point de vue, on peut dire que la déloyauté du commerce des graines a coûté au pays, depuis dix ans, quelques centaines de millions.

Ce commerce, fût-il resté honnête partout et toujours, ne frappe pas moins les sériciculteurs d’un impôt bien lourd, qui vient s’ajouter à leur détresse, déjà si grande. En effet, la France consommait annuellement, en temps normal, environ 33,000 kilos d’œufs