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Il ne restait donc, comme pratique, que le système qu’on a suivi, celui des commissions cantonales ; mais, quoiqu’il fût le seul pratique, il ne devait pas encore aboutir au succès dans les conditions qui lui ont été faites.

Grâce à notre admirable état civil, l’administration peut, à chaque instant, concevoir sur le mouvement et sur les ressources de la population française des probabilités que nos recensemens périodiques viennent ensuite rectifier en partie dans leurs inévitables erreurs. On a vu ce qu’on pouvait attendre de la statistique en fait de documens commerciaux ou judiciaires ; mais quand il s’agit d’animaux fatalement soumis à l’arbitraire direction de leurs maîtres, de denrées qui se créent et se consomment sur la même place dans un court espace de temps, comment savoir ce qui se passe, comment contrôler ? On ne peut apprendre qu’en interrogeant les cultivateurs ou les hommes qui vivent au milieu d’eux ; on ne peut vérifier qu’en se transportant sur le théâtre même de leurs exploitations.

Interroger les cultivateurs ! Le caractère de nos paysans, on le sait déjà, ne se prête nullement à de pareilles investigations. Ou bien ils ne répondront rien, comme ont fait plusieurs commissions[1] qui ont tout simplement refusé de fournir les renseignemens désirés, ou bien ils feront sciemment des réponses inexactes, comme ont certainement fait la plupart des cultivateurs que l’on a consultés. Les uns, trouvant que l’administration en France se mêle déjà de bien assez de choses, ne montraient aucun bon vouloir pour ses nouvelles immixtions dans les affaires des administrés ; — les autres ne voulaient pas s’ennuyer, c’est le mot même qu’ils emploient, à faire, les trop longues recherches qu’auraient exigées les neuf cent soixante-deux questions et le tableau final de l’interminable questionnaire qui leur était soumis ; — les derniers enfin, et peut-être les plus nombreux, ne pouvaient pas croire qu’un tel luxe de curiosité fût sans aucun rapport avec quelque nouvelle exigence d’impôts[2].

Contrôler, vérifier des réponses ainsi faites ! Qui donc aurait le temps, le courage et le pouvoir d’aller, le cadastre en main, voir sur le terrain quelle est la culture de chaque champ, dans chaque basse-cour quelle est la population en bétail, dans chaque grange quelle est la qualité ou la quantité des récoltes qu’elle renferme ? Le questionnaire ne pouvait réunir que de très rapides et très sommaires évaluations, recueillies sans tous les soins nécessaires, fournies sans toute l’exactitude désirable ; il manquait, en un mot, de la précision qui rend concluant un travail statistique quelconque.

  1. Voyez page 401 de la Statistique agricole, compte-rendu de la seconde session du congrès international de statistique.
  2. J’avais l’honneur de faire partie de la commission cantonale de Moulins-la-Marche Orne, et de présider une de ses sections. J’avoue très humblement n’avoir jamais pu persuader à plusieurs de ses membres qu’il n’y avait pas quelque chose là-dessous, et n’avoir fini par obtenir d’eux des renseignemens exacts que ma curiosité personnelle me faisait d’ailleurs désirer qu’après m’être engagé à transmettre, non pas les réponses véridiques qu’on consentirait à me faire, mais les réponses mensongères qu’on imposait a ma plume de rapporteur, — et j’avoue avec confusion avoir tenu ma promesse.