Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/549

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de chimie où il aurait péri est une fable. On mit les scellés ; mais Mme d’Aubray, veuve du dernier frère de Mme de Brinvilliers, et qui accusait celle-ci de la mort de son mari, avait trouvé moyen d’adjoindre au commissaire un homme à elle, un certain Cluet, sergent de police. Cet observateur attentif trouva une cassette où Sainte-Croix avait écrit : « Par le Dieu que j’adore, je prie qu’on remette ceci à Mme de Brinvilliers. » On ouvrit, et l’on trouva des lettres de la marquise, une obligation souscrite par elle au profit de Sainte-Croix, et de petits paquets où il était écrit : « A M. de Penautier. » Ces paquets étaient des poisons.

Ce n’était pas ce qu’on croyait trouver. Les poisons semblaient ne pas être à Mme de Brinvilliers, mais bien les billets doux. Le commissaire (Picard, celui qui aida à faire brûler Morin) fut tout abasourdi de voir M. de Penautier, un tel homme, tellement compromis. Il remplit fort mal son devoir, ne recacheta point les paquets, n’écrivit pas le procès-verbal, le laissa écrire par Cluet, l’agent de Mme d’Aubray, qui ne pouvait manquer d’écrire à la charge de la Brinvilliers, déchargeant d’autant Penautier. Même ce procès-verbal suspect, on ne le garda pas entier ; il en disparut plusieurs feuilles. La confession de Sainte-Croix avait disparu aussi. Picard dit qu’en bon chrétien il l’avait brûlée.

Penautier, gardé par l’église, l’était aussi par la magistrature. Il avait eu la sage précaution d’y avoir alliance. Il avait marié sa sœur au fils d’un conseiller du parlement. Le lieutenant civil, à qui revint l’affaire, ne voulut ni voir ni savoir l’obligation de Penautier à Sainte-Croix ; il n’en fit point mention. Cette pièce fut négligée et écartée, de plus falsifiée ; on en changea la date : on mit 1667 au lieu de 1669, année de la mort d’Hanyvel, dont cette obligation eût semblé le paiement. Le laquais George avait fui le jour de la mort d’Hanyvel ; mais l’autre, Lachaussée, fut arrêté, jugé. Il avoua qu’il avait empoisonné les frères Aubray par ordre de Sainte-Croix. Il varia sur la Brinvilliers, la dit tantôt coupable et tantôt innocente. De lui-même, au dernier moment, il commençait à dire ce qu’il savait sur Penautier. On lui ferma la bouche. Celui-ci, inquiet, craignant d’être arrêté, achetait déjà des témoins[1]. Il n’en eut pas besoin. Tout ce qui avait agi pour Sainte-Croix disparaissait comme par magie. De ses préparateurs de poison, le dernier, un certain Glazel, apothicaire du faubourg Saint-Germain, mourut fort à propos. Restait la Brinvilliers, qui connaissait très bien l’intimité de Penautier avec Sainte-Croix. Le financier courut la trouver à Picpus, où les poursuites de ses créanciers lui avaient fait chercher

  1. Interrogatoire de son commis Belleguise. Manuscrits, Suppl. Fr., 250.