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jeune duc Maximilien sur le trône de son père. Il paraît que Léonard tenta de se rattacher à lui, on croit même qu’il fit son portrait ; mais il s’était trop compromis pour que la place fût tenable, et lorsque Louis XII eut définitivement renoncé à sa conquête par le traité de 1514, il se décida à partir pour Rome. Ses élèves voulurent partager la mauvaise fortune de leur maître, vieux et découragé ; ils le suivirent, comme le constate une note de Léonard lui-même : « Aujourd’hui 24 septembre, je partis de Milan avec Giovanni (Beltraffio ?), Francesco Melzi, Lorenzo (Lotto) et il Fanfoia. » Le troisième jour, arrivés sur la rive gauche du Pô, ils s’arrêtèrent au pied d’une colline, et Léonard, voulant garder un souvenir d’un pays qu’il croyait ne jamais revoir, dessina un croquis du paysage qu’ils avaient devant les yeux. À Florence, Léonard trouva Julien de Médicis, qui l’emmena bientôt à Rome, où il allait lui-même pour assister au sacre de son frère, Léon X. Il y fut peu accueilli. Les politiques voyaient en lui l’ami du maréchal de Chaumont et de Trivulce, le partisan de la France. Les artistes devaient peu se soucier de voir un nouveau-venu partager avec eux la faveur de Léon. Raphaël ne paraît pas s’être employé pour lui. Quant à Michel-Ange, il est peu probable que Léonard lui ait demandé son concours, ou qu’il se soit soucié d’utiliser son crédit. La rivalité des deux grands artistes florentins datait de leurs travaux pour la salle du Palais-Vieux, et Léonard n’avait sans doute pas oublié avec quelle préférence marquée ses compatriotes avaient accueilli le carton de son jeune rival. De plus, un dessin de monument sépulcral, qui se trouvait dans la collection de sir Thomas Lawrence, fait supposer qu’il avait également concouru contre lui pour le tombeau de Jules II, lorsqu’en 1513 on renonça au projet gigantesque d’abord adopté. De son côté, Michel-Ange devait avoir peu d’estime pour un homme qui n’avait ni passions politiques ni opinions religieuses, qui, après avoir servi Louis le More, s’était attaché à Louis XII pour revenir à Maximilien, qui avait organisé des fêtes et élevé des arcs de triomphe pour tous les vainqueurs. Léonard était cependant si chaudement appuyé auprès de Léon par Julien de Médicis que le pape lui commanda un ouvrage important ; « mais, dit Vasari, le peintre se mit d’abord en devoir de distiller des huiles et des plantes pour composer un vernis, et Léon, ayant entendu parler de ses préparatifs, se prit à rire en disant : « Ah ! celui-là ne fera jamais rien de bien, puisqu’il pense à la fin de l’ouvrage avant de l’avoir commencé[1] ! »

François Ier venait d’entrer en Lombardie. Léonard, rebuté par l’accueil qu’il avait reçu à Rome, l’y rejoignit. Il assista et il prit

  1. Il fit cependant à Rome deux tableaux, une Vierge et un Enfant. Ces deux tableaux sont perdus.