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par où Mac-Clure l’a trouvé. On sait que ce capitaine américain, parti en 1850, sur l’Investigator, du détroit de Behring, entre l’Asie et l’Amérique, longea le continent, passa devant les embouchures des rivières Colville et Mackenzie, remonta vers le nord à la hauteur de la terre de Banks, qu’il reconnut être une île. Là, l’Investigator fut saisi par les glaces, et ne put en être dégagé. Pendant trois hivers, son équipage vécut en grande partie de chasse. Enfin les capitaines Kellett et Inglefied vinrent à sa rencontre en s’avançant de l’est à l’ouest avec les navires Herald et Phœnis, et il fut constaté que les deux Océans communiquent par une série de canaux situés presque en ligne droite, et que l’on appelle Banks, Melville, Barrow, Lancastre ; mais en même temps on dut reconnaître que les glaces obstruent tantôt l’un, tantôt l’autre de ces passages, et entourent les bâtimens qui s’y aventurent de barrières infranchissables. Le chemin que Franklin voulait suivre est-il plus praticable ? Il s’agit, nous l’avons vu, de pénétrer dans le détroit de Lancastre, de descendre le long de North-Sommerset, d’arriver ensuite à l’île du Roi-Guillaume, et d’enfiler, le long de la côte américaine, la série de détroits, Simpson, Dease, Dauphin, qui mènent au canal de Behring, puis à l’Océan-Pacifique.

L’expérience l’Erebus et Terror et du Fox lui-même ne semble pas indiquer que ce long et tortueux chemin soit préférable à celui dans lequel Mac-Clure est resté engagé pendant trois ans. Il faut donc laisser dans leur solitude ces régions hostiles à l’homme ; l’industrie et le commerce n’en peuvent rien attendre, et sans doute, seuls dans l’avenir comme dans le passé, quelques baleiniers en iront affronter la lisière. Est-ce à dire pour cela que les marins intrépides que nous avons suivis dans ces mers aient exposé leur vie pour une œuvre stérile et subi sans utilité tant de fatigues ? Non sans doute : c’est grâce à eux que nous avons satisfait vers le pôle arctique ce besoin de pénétrer l’inconnu, qui est une des généreuses préoccupations de nos sociétés. Tandis que nous demeurions dans le bruit des villes, ils s’en allaient, à notre profit, au milieu de périls sans cesse renouvelés, donner le spectacle de l’abnégation, du courage, de la persévérance, des vertus qui élèvent l’homme et qui l’ennoblissent, et dans ces grandes luttes contre la nature, dont leur vie était l’enjeu, ils ont eu, vainqueurs et vaincus, la récompense qu’ils ambitionnaient. S’ils ont semé de leurs dépouilles mortelles ces régions lointaines, leur âme plane sur ce monde qu’ils nous ont fait connaître.


ALFRED JACOBS.