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accourt de loin pour contempler le noble étranger ; mais, dès que le curé se montre, alcade, maire, peuple lui ouvrent respectueusement passage et lui laissent le premier rang. Nous voici dans un village voisin d’Iloïlo. C’est au couvent des Augustins que s’arrête le cortège sur l’invitation d’un moine intelligent et aimable, qui fait de la meilleure grâce les honneurs du logis. Tout est comfortable et bien ordonné. Les appartemens sont meublés avec goût. Point de cellules sombres, point d’étroits corridors où le corps étouffe. L’air circule, l’on se sent à l’aise. Il y a un grand et beau jardin, dont une partie est réservée à la culture du cacao, car les moines ne se fient qu’à eux-mêmes pour la confection de leur chocolat. La basse-cour est abondamment garnie : on trouve de bons chevaux dans les écuries et d’élégantes voitures sous les remises. Le couvent ne rougit pas de sa richesse : il a de gros revenus et il s’en sert, à la satisfaction des visiteurs que le hasard lui amène. Sir John arrive au réfectoire, où la nappe est mise. Il ne nous dit point le menu du repas, et c’est un oubli de l’économiste, qui sans doute a été distrait de son étude habituelle par les espiègleries des petites filles tagales chargées du service de la table. Ces enfans l’examinent curieusement en lui changeant ses assiettes, elles suivent ses gestes, observent ses vêtemens et échangent à haute voix leurs réflexions sur cet étranger dont la venue a mis sur pied le village et le couvent, même aux heures de la sieste. Elles s’étonnent de voir si simplement habillé, sans broderies d’or, sans chapeau à plumes, un personnage qui, dit-on, est un grand chef. L’une d’elles, commettant devant les bons pères le péché de curiosité, plonge sans façon ses petites mains brunes dans la blanche chevelure, par bonheur très naturelle, du gouverneur de Hong-kong, et paraît admirer beaucoup cette décoration de l’âge, dont les Tagals aux. cheveux fidèlement noirs ne sont jamais parés. Après le repas viennent les cigares, puis on quitte le couvent, et sir John trouve à la porte tous les notables qui l’attendent avec leurs voitures, et, défilant à sa suite, l’escortent joyeusement jusqu’à la ville. Quant aux jeunes officiers anglais qui accompagnaient le gouverneur, on les retient au village, où les Tagals ont organisé une fête et des danses avec la permission du curé.

Dans le port de Sual, même réception, où se révèle, toujours au premier plan, l’influence des ordres religieux. L’alcade est un excellent homme, mais le frère Gabriel ! Frère Gabriel a seul la parole ; c’est lui qui explique l’histoire et les ressources du pays, c’est lui qui fait l’invitation à dîner. Il ordonne et dirige tout dans ce pays, qui est son domaine, qui lui appartient corps et âmes, et où les affaires ne marchent qu’au son de la cloche du couvent. Du reste, la rencontre est heureuse pour sir John Bowring, car déjà frère Gabriel s’entend à merveille avec le consul que l’Angleterre a eu soin d’installer