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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/949

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souffrir, les fruits de l’arbre défendu ! Jonas a été réellement englouti par un énorme poisson, mais on ne dit pas qu’il ait vécu dans ses entrailles, et pourquoi Dieu ne l’aurait-il pas ressuscité lorsque le monstre l’eut rejeté sur le rivage ? On va loin avec cette manière de disposer de la toute-puissance divine. Du reste cette tendance, éminemment rationaliste dans le vrai sens du mot, était un peu celle de tout le monde lorsque van der Palm écrivait, et en dehors de l’Allemagne, peu d’esprits étaient alors accessibles à l’idée qu’il vaut bien mieux laisser ces vénérables traditions sous leur forme naïve, quitte à rechercher avec d’autant plus d’indépendance les idées qui en constituent le fonds substantiel et toujours vrai, que de les détourner violemment du sens naturel par des explications arbitraires qui en diminuent nécessairement la beauté sans les rendre plus vraisemblables.

Les personnes au courant de l’histoire de la théologie moderne s’étonneront sans doute de voir que le prodigieux mouvement d’idées dont l’Allemagne d’alors était le théâtre eût exercé encore si peu d’influence sur la direction des esprits dans un pays si voisin et si analogue par la race. Cela tient à plusieurs causes. D’abord il s’en faut de beaucoup que l’esprit hollandais et l’esprit allemand soient très sympathiques. Le Hollandais reproche à l’Allemand ses rêveries impuissantes ; l’Allemand déteste le prosaïsme et accuse le Hollandais de n’en savoir pas sortir. Ensuite le caractère du peuple hollandais présente un étonnant mélange de décision et de timidité. D’inclination, il est conservateur ; c’est par raison qu’il est progressif, et s’il faut lui reconnaître une solidité à toute épreuve, une persévérance que rien ne lasse, quand il se met à poursuivre un but nettement défini et dont il comprend clairement les avantages, il faut ajouter qu’il ne court pas volontiers les aventures : la nouveauté n’est nullement un titre à sa faveur, et tant qu’un progrès ne s’appuie pas sur des raisons impérieuses de justice ou d’intérêt, l’amour de ce qui est peut aller chez lui jusqu’à l’esprit de routine le plus enraciné. C’est à cela qu’il faut attribuer, je crois, le petit rôle de la philosophie pure dans le pays de Spinoza, dans l’asile de Bayle et de Descartes. On ne peut pas dire que ces penseurs aient exercé autour d’eux une influence très marquée sur le cours des idées. Au fait, les mouvemens de la philosophie supposent toujours une grande audace spéculative ou critique, née du mécontentement profond de ce qui existe, et il était arrivé au peuple hollandais ce qui arrive si souvent aux hommes et aux nations précoces : fier de sa supériorité acquise, il s’était un peu trop replié sur lui-même, du moins en matière d’échange intellectuel. Jugeant les principes religieux aux fruits qu’ils portent, il se trouvait, sous bien des rapports