Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

formes libérales que le long règne de Charles-Jean avait fait ardemment désirer. Ses premières mesures répondirent hardiment à l’opinion publique. Il commença par abolir les anciens corps de métiers, et la diète suédoise se vit bientôt saisie d’un projet en faveur de l’émancipation des Juifs, d’un autre sur la liberté de l’industrie et du commerce, d’un troisième enfin pour la réforme de la représentation. C’en était assez pour montrer que le gouvernement, confié désormais à des mains plus jeunes et plus familiarisées avec l’organisation intérieure de la Suède, entrait franchement dans la voie des améliorations sociales. Le pays s’en émut diversement, et, tandis que les esprits sagement libéraux applaudissaient à ces promesses, il y en eut qui s’alarmèrent. Les deux premiers projets rencontraient dans les préjugés et l’égoïsme d’une partie de la population d’aveugles adversaires, et le dernier surtout mettait aux prises avec les partisans d’un ordre nouveau les classes privilégiées. C’est au milieu de cette première agitation qu’arriva à Stockholm la nouvelle de la révolution de février. Un banquet réformiste, comme à Paris, avait été résolu quelques jours auparavant. Les chefs de la démonstration ne jugèrent pas qu’il fût utile de la contremander. Le 18 mars, le banquet eut lieu avec des toasts chaleureux au souverain de qui l’on attendait avec confiance une suite de mesures libérales ; mais derrière les faiseurs de toasts et de discours il y avait, là aussi, l’émeute. Des placards affichés le matin même dans les carrefours avaient convoqué le peuple ; une foule immense se réunit aux environs et en face de l’hôtel où se tenaient les convives, et après que ceux-ci se furent paisiblement retirés, elle parcourut la ville aux cris confus et mêlés de : « Vive la réforme ! Vive le suffrage universel ! À bas la noblesse ! À bas les Juifs ! Pas de nouveau tarif ! » La réforme et le suffrage universel n’étaient, à vrai dire, que des prête-noms ; les bandes se composaient d’ouvriers et d’apprentis qui craignaient la diminution des salaires, et de perturbateurs à qui la haine commune des Juifs, le vague désir de réformes et les bruits du dehors n’étaient que des prétextes de désordre et de violence. Cette multitude alla briser à coups de pierres les vitres du ministre des affaires étrangères, de plusieurs hauts fonctionnaires, de M. de Hartmansdorf, chef du parti ultra-conservateur dans l’ordre de la noblesse, du principal marchand juif, enfin de l’éditeur du journal l’Aftonblad, organe de la liberté du commerce et de l’industrie. Le roi se trouvait ce même soir au théâtre, où l’assistance, protestant contre l’émeute, l’accueillait avec des applaudissemens et en chantant l’hymne national. Il se retira avant la fin du spectacle, monta à cheval accompagné seulement du jeune prince royal (aujourd’hui Charles XV), et parcourut ainsi les rues et les places envahies par